Grégory Faes, quelle est la particularité de la filière cinéma au niveau régional ?
"Nous avons la chance, en Auvergne-Rhône-Alpes, d'avoir le plus beau réseau de cinémas d'art et d'essai de France [178 en 2016 selon le CNC, Ndlr]. Si elle compte une soixantaine de festivals, la région est dotée de grands événements emblématiques pour le milieu du cinéma.
Dans notre région, un film peut être tourné à peu près partout sur le territoire (dans un petit village, une grande ville, en montagne, au bord d'un lac) au gré du projet artistique et peut être diffusé dans une multitude de salles. Les métiers sont d'ailleurs, eux aussi, bien répartis sur tout le territoire. La culture n'est centrée sur une zone en particulier mais irrigue tout un territoire.
C'est pour cela que la Région accompagne beaucoup cette filière qui crée des emplois – 12 000 emplois pour 2 100 entreprises, et qui se développe plutôt bien même si elle est un peu malmenée en ce moment. La Région et de nombreux partenaires du cinéma français comme le CNC ont fait le choix de continuer à soutenir la production dès le début de la crise sanitaire."
Quel impact la crise du Covid a-t-elle eu sur les tournages ?
"Les tournages suivent un protocole extrêmement strict d'une soixantaine de pages et le bilan est plutôt positif : ce sont des conditions difficiles mais les règles sont globalement respectées et peu de films ont eu des cas positifs de Covid-19.
Nous avons eu beaucoup de difficultés concernant les autorisations de tournage dans les espaces publics mais elles se sont résorbées."
"L'animation et le jeu vidéo sont deux des marques de fabrique de notre territoire"
Avec l'animation, la filière est également en plein mouvement...
"Depuis deux ans, la Région s'est dotée d'une nouvelle spécialité : l'accompagnement du jeu vidéo. L'animation et le jeu vidéo sont deux des marques de fabrique de notre territoire : on compte de nombreuses sociétés de production et de fabrication de jeux vidéo. Nous avons créé le Pôle Pixel à Villeurbanne, en région lyonnaise, qui regroupe des entreprises, des studios… sur 30 000 m2.
Ce pôle se distingue du fonds Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma et s'apparente à d'autres structures du même type que l'on peut par exemple trouver à Annecy et Valence autour de l'animation, à Clermont-Ferrand autour du court-métrage. Derrière tout cela, il y a évidemment un enjeu culturel mais aussi un enjeu économique : le développement d'une filière en devenir, même si la question de la salle se pose. Les cinémas resteront bien sûr vivants mais le secteur connaît des mutations profondes avec l'arrivée des plateformes de streaming, qui est facilitée par la crise sanitaire."
Pourrait-on imaginer une plateforme régionale ?
"C'est une question qui m'a été posée par des élus de la Région en commission culture, mais la réponse est non. Les plateformes comme Netflix et Amazon ont des moyens colossaux : pour la fabrication et la diffusion de contenus visuels, les Gafam sont presque les plus grosses entreprises du monde.
Récemment, l'Etat français a négocié avec elles leur entrée sur le marché national mais on ne peut espérer rivaliser ni d'un point de vue régional ni d'un point de vue national."

Les plateformes "ne remettent pas tout en cause"
Comment se distinguer face à ces géants ?
"Ce qui fait la force du cinéma français et notamment dans une région comme la nôtre, c'est que nous avons des talents. Cela reste indispensable pour toutes ces plateformes d'avoir des contenus de qualité, tout n'est donc pas perdu.
Nous avons toujours été une industrie de prototypes : nous produisons des œuvres les unes après les autres, avec des talents pour créer, diffuser… La diffusion coûte d'ailleurs très cher et les plateformes ont aussi besoin des salles pour avoir des débouchés supplémentaires. On trouve quelques plateformes réservées aux projets d'auteur, comme Tënk, en Ardèche, spécialisée dans le film documentaire, mais ce sont des micro-niches.
Un film vient d'ailleurs d'être tourné à Grenoble avec Omar Sy et le réalisateur Louis Leterrier : c'est un projet Netflix, dans lequel nous ne sommes pas impliqués mais c'est tout de même un projet qui est venu se tourner sur le territoire, avec des acteurs et producteurs français. Il y a une évolution des partenaires et des modèles mais elle ne remet pas tout en cause. La question la plus délicate aujourd'hui est celle de la reprise des festivals et de la réouverture des salles de cinéma.
Ses dates clés
1988 Débuts dans le financement du cinéma
1994 Prend la direction d'Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
2002 Ouverture du premier studio de cinéma à Villeurbanne
2009 Création du Pôle Pixel
Animer et investir
Quel est votre rôle dans le milieu du cinéma ?
"Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma existe depuis près de 30 ans. Notre fonction principale est d'investir dans des films : ce ne sont pas des subventions, nous investissons des fonds publics en co-production. Cela implique un retour sur investissement. Autre contrepartie importante : les longs métrages financés doivent présenter un lien fort avec la région, c'est-à-dire, en général, un tournage dans l'un des douze départements du territoire.
Lors de la fusion entre Auvergne et Rhône-Alpes, nous avons beaucoup travaillé à encourager les tournages en Auvergne, où il n'y en avait pratiquement plus, contre une centaine de jours par an aujourd'hui. Grenoble est une ville qui plaît beaucoup aux tournages, et les équipes viennent beaucoup pour les Alpes et le Vercors. Autre rôle d'Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma : participer à l'animation de la filière."
Quelles sont vos ressources ?
"C'est un fonds de 3 M€, alimenté par la Région Auvergne-Rhône-Alpes à hauteur de 2 M€ et par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) à hauteur de 1 M€. La Région porte d'ailleurs elle aussi tout un pan d'activité : le soutien aux séries, aux documentaires, aux courts-métrages, aux salles, aux festivals… Cette stratégie d'animation de la filière a des retombées économiques très importantes [chiffre d'affaires régional non communiqué, Ndlr] : lorsque le festival du film d'animation d'Annecy ne se tient pas, l'impact est considérable pour la ville.
Nous avons un lien très fort avec la région Auvergne-Rhône-Alpes parce-qu'elle nous finance, mais aussi parce-qu'elle est actionnaire de notre société de production, aux côtés de la Caisse d'Epargne Rhône-Alpes et de Bpifrance. Nous sommes à la fois un outil d'ingénierie - car nous aidons et suivons les projets dont nous sommes un partenaire financier, par exemple avec la filiale de la Commission du film Rhône-Alpes qui effectue tout un travail de suivi des productions pour faciliter l'emploi, les repérages de décor… - et à la fois un support de studio."
Justement, le modèle "numérique" des festivals en ligne est-il amené à perdurer ?
"Tous ces événements sont très importants pour notre profession puisque c'est souvent à cette occasion que l'on peut détecter de nouveaux projets et les lier à notre région, et en lancer de nouveaux. C'est l'autre impact de la crise actuelle : les salles ont été fermées mais les festivals aussi et ils ont du mal à se maintenir. Les festivals se tiennent certes en ligne mais ce sont aussi le lieu où les professionnels du secteur se croisent et nouent des contacts. Comme dans d'autres secteurs, ce contact virtuel n'a pas du tout la même qualité que le présentiel.
L'âme du cinéma, c'est le partage. Le cinéma dépend de la salle de projection. Cela permet néanmoins de créer une formule qui n'est pas inintéressante et d'ouvrir l'événement à des publics qui, sinon, viendraient difficilement."
Entre nous...

Son rituel du matin... Je commence mes journées par quelques exercices d'étirement et de gainage, suivis d'un premier café noir.
Ses lectures... Des scénarios bien sûr ! L'autobiographie du directeur du festival Lumière Thierry Frémaux, Judoka, les œuvres de Sorj Chalandon…
Ses inspirations... J'ai eu la chance de rencontrer très tôt dans ma vie professionnelle trois mentors exceptionnels : Georges Prost, banquier du cinéma, Margaret Menegoz, productrice, et Roger Planchon, metteur en scène, tous trois par ailleurs co-fondateurs d'Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma.