Comment appréhendez-vous cette nouvelle coupe franche dans les ressources des CCI ?
Nous sommes en effet confrontés à une forte baisse de nos ressources : de 1,5 Md€ de ressource fiscale en 2012 pour l'ensemble du réseau, nous sommes arrivés à 800 M€ en 2018. Et le ministère a annoncé une nouvelle coupe pour aboutir à 400 M€ en 2022, exactement 370 M€. C'est un choc ! Ce qui nous inquiète, c'est le couple ampleur de la baisse/rythme de la baisse. Je ne suis pas dans une posture idéologique. En tant que chef d'entreprise, je suis favorable à une réduction des dépenses publiques. Nous sommes d'accord pour, à l'instar d'autres organismes, apporter notre écot à l'effort collectif. Nous sommes d'accord pour transformer le réseau, afin d'être encore plus utile aux entreprises et aux territoires. Mais il ne faudrait pas que cette réduction brutale de nos ressources casse l'outil ! Les CCI ont une vraie utilité au sein des territoires. Nous sommes le seul réseau public généraliste d'accompagnement des entreprises. Notre force, c'est la proximité ; nous sommes au service de toutes les entreprises et nous apportons à toutes les mêmes solutions pour progresser et booster leur activité. Dans les faits, les CCI servent notamment aux TPE-PME, qui sont les moteurs de l'économie du pays.
Les conséquences sont visibles, sur les emplois notamment. L'avenir du réseau des CCI est-il en question ?
Nous avons d'ores et déjà procédé à 300 suppressions de postes sur la période écoulée. Cette baisse de ressources nous pousse à changer de système, car les ajustements ne suffisent plus. Nous avons donc entamé une large réflexion. On doit réagir, se transformer en profondeur, s'adapter, innover. On ne peut imputer ces baisses de ressources sur un seul secteur : soit sur les services de missions, soit sur le fonctionnement. Nous travaillons sur les deux colonnes en même temps afin de trouver un équilibre. Nous devons évoluer pour coûter moins cher, être plus agile et être encore plus utile aux entreprises et aux territoires. Cela passera sans doute par des choix. Nous pourrions ainsi renoncer à certains produits d'accompagnement, et en développer d'autres.
Votre présence territoriale est-elle menacée ?
Nous allons poursuivre les rationalisations, la mutualisation des services support (finance, RH, DSI), mais notre réflexion porte aussi sur les services opérationnels. Nous avons imaginé des sous-ensembles intra-régionaux, ce que j'appelle des espaces de polarisation : les 4 départements de l'ex-Auvergne, l'Ain et les deux Savoie, l'ensemble Isère Drôme Ardèche, et l'ensemble Rhône-Loire et Beaujolais. L'objectif est d'être le plus économe possible, tout en étant le plus efficace. C'est une question de survie. L'important est de jouer collectif ! Les CCI l'ont bien compris. Les élus du territoire doivent avoir le plein exercice de la stratégie de leur CCI. Le regroupement institutionnel ne sera pas imposé. Je ne fonctionne pas ainsi. Si des CCI souhaitent fusionner, je les accompagnerai. Mais je m'opposerai à tout passage en force.
Vous organisez chaque année la Quinzaine de l'international, dont la prochaine édition aura lieu du 1er au 12 avril 2019. La mouture 2018 stipulait « Entreprises, osez l'export ! » Ne pensez-vous pas qu'il existe une absence de culture à l'international en France ?
Je ne serais pas si catégorique. Notre région abrite de grandes entreprises (Michelin, Limagrain, Mérieux, Schneider), championnes de l'export. En France, les entreprises sont de petite taille. Les TPE-PME manquent réellement de moyens pour aller à l'export. L'Allemagne compte de nombreuses ETI. En France, il manque ce maillon entre les grandes entreprises et les TPE-PME. Surtout, je veux véhiculer le message suivant : en matière d'export, tout commence en France, dans les territoires. Il s'agit de former ses équipes, d'affiner sa stratégie commerciale, de muscler son marketing… La démarche à l'export doit être issue d'une vraie stratégie, pensée, réfléchie. On ne va pas à l'export sur un coup de tête ou sans appréhender le marché. Auvergne-Rhône-Alpes est une grande région exportatrice, avec 17 000 entreprises exportatrices, et l'Allemagne comme premier pays client.
Le Premier ministre a souhaité en février dernier la création dans les territoires de « Team France Export », unissant tous les acteurs autour des Régions, de Business France et des CCI. Cette initiative ne nous surprend pas en Auvergne-Rhône-Alpes où nous appliquons depuis longtemps une tactique d'équipe. Nous avons su rassembler, au service des entreprises, tous les acteurs de l'international : la Région avec son agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, l'Etat, Business France, la CCI de région, le Medef, la CPME, Bpifrance, la CRMA, les CCEF et l'OSCI qui travaillent de concert. Ce rassemblement permet d'éviter de créer un monstre qui d'ailleurs ne fonctionnerait pas.
Concrètement, nous réalisons un travail de sensibilisation et d'accompagnement auprès d'une entreprise désireuse de se lancer à l'international. On peut avoir un avis négatif et, dans ce cas précis, lui dire que la démarche export est trop risquée, qu'elle n'est pas mûre… L'année dernière, nous avons procédé à 5 000 accompagnements d'entreprises et fait 200 000 formalités à l'international.
Vous appelez régulièrement à libérer les énergies entrepreneuriales. La loi PACTE doit donc vous satisfaire…
La loi PACTE (ndlr : plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) simplifie un peu les seuils, ceux des 10 et 20 salariés (ndlr : le seuil de 20 salariés, qui impose des obligations fiscales et sociales aux entreprises, doit être supprimé. Les entreprises ne seront plus soumises à certaines cotisations, comme la participation à l'effort de construction via Action Logement). Mais elle ne touche pas celui des 50. C'est pourtant de lui qu'on parle. Il faut libérer les entreprises de ce seuil. Mais je salue cette loi, car c'est la première loi offensive et pro-entreprises depuis longtemps. Elle va permettre de faire baisser le poids des règles. Il faut poursuivre, on est dans la bonne direction, mais l'intensité est insuffisante. La loi Pacte est la première loi, depuis des années, permettant de faire grandir les entreprises. Pour que les entreprises grandissent, il faut accumuler des capitaux. Il faut que les résultats soient la source des fonds propres, à réinjecter ensuite dans l'économie.
Comment se porte l'économie régionale ?
Après une bonne année 2017 – tous les secteurs étaient passés au vert, y compris industrie et BTP –, les deux premiers trimestres 2018 sont satisfaisants. On sent poindre cependant un ralentissement de l'activité. Si l'économie régionale est toujours dans le positif, la vigilance est de mise. Nous n'avons malheureusement pas perçu d'impact de cette embellie économique sur le front de l'emploi. Tous les secteurs éprouvent des difficultés à embaucher (lire encadré). Les raisons sont multiples. En France, il y a un manque de culture de la mobilité géographique et sectorielle. Un effort doit être aussi porté sur la formation. Les personnes doivent pouvoir acquérir de nouvelles compétences, faire des mises à niveau, se réorienter, changer de cap. Certaines populations éloignées de l'emploi doivent acquérir les bases fondamentales et comportementales avant de faire une recherche. Ce que l'on constate, c'est que les emplois d'entrée de gamme (ex. : services à la personne) ne sont pas assez rémunérateurs par rapport aux ressources perçues sans travailler. Il faut augmenter les salaires et baisser les prestations. Faire les deux de concert. Mais aussi être plus coercitif envers ceux qui refusent sciemment des postes.
Votre militantisme en faveur des entrepreneurs ne cesse de se renforcer…
Il faut retrouver la liberté d'entreprendre, baisser la pression administrative et fiscale, donner de l'air aux entreprises. J'en appelle à un choc de simplification. J'admire les entrepreneurs aujourd'hui pour l'énergie déployée, leur ténacité.
39 % DES TPE-PME PEINENT À RECRUTER
- La plus grande part des TPE-PME a enregistré une progression du chiffre d'affaires au 1er semestre 2018
- Plus des 2/3 des entreprises se disent plutôt confiantes dans la situation économique générale
- 53 % des TPE-PME ont l'intention de recruter au 2e semestre, notamment dans les PME de plus de 50 salariés, mais les TPE qui recrutent sont aussi de plus en plus nombreuses
- Les difficultés de recrutement constituent, pour 39 % des TPE-PME, le premier frein au développement de l'activité
Source : Panel de conjoncture réalisé par la CCI de région, avec les CCI d'Auvergne-Rhône-Alpes, septembre 2018