Davy Tissot, dans quel état d’esprit êtes-vous après cette victoire au Bocuse d'Or en septembre dernier ?
Je me sens bien. Au-delà d’avoir gagné un prix aussi prestigieux que celui-ci, cette distinction est une manière de faire rayonner la cuisine française à l’international. Je ne suis finalement pas si fatigué car j’ai pu, avec mon équipe, me préparer pendant deux ans dans les meilleures conditions.
En face, nous avions les meilleurs cuisiniers du monde, il fallait garder la tête froide dans une compétition très rude, et qui ne laisse aucun répit. Tout doit être parfaitement exécuté, pas de place pour « passer » sur une difficulté. Mon principal objectif était de parvenir à rendre quelque chose de finalement simple.
Est-ce compliqué de faire simple dans une compétition aussi médiatique, prestigieuse et qui vise l’excellence ?
La quête de l’excellence, je l’ai connue lorsque j’ai concouru pour le titre de Meilleur ouvrier de France (Davy Tissot est MOF 2004, Ndlr). La cuisine d’Auguste Escoffier m’a, en cela, beaucoup inspirée pour le Bocuse d’Or. Il pratiquait une cuisine du cœur, raffinée et élégante, mais avec une approche simple. Bien sûr, la cuisine à ce niveau est cadrée mais il est possible d’élargir ce cadre vers d’autres horizons pour tendre à cette excellence.
Je me suis ainsi entouré de chefs qui pratiquent une cuisine différente de la mienne et dont je me suis enrichi. Dans ces conditions, il y a moins de souffrance à sortir de sa zone de confort pour se sublimer.
Davy Tissot : "Mon terrain de jeu, c'est le monde"
Vous incarnez une cuisine française ouverte sur le monde ?
Mon terrain de jeu, ce n’est pas Lyon ni la France. C’est le monde. Il ne faut pas non plus oublier ses racines, garder son ADN mais l’additionner avec ce que nous apportent les autres gastronomies. Et puis, la cuisine française s’ouvre ainsi parce que tout va très vite, notamment grâce à
Internet, les informations et tendances circulent rapidement et il faut s’inspirer de ce qui arrive de toute part.
Est-ce toujours facile de réinventer la gastronomie ?
On s’aperçoit finalement qu’on n’invente rien. La fermentation, par exemple, ça n’a rien de moderne car elle existe depuis l’époque des Romains. Mon arrière-grand-mère faisait aussi ses bocaux ! La raviole d’artichauts, que j’ai préparée en garniture du paleron de bœuf confectionné pour le Bocuse d’Or, est inspirée d’artichauts à la barigoule, recette puisée chez Auguste Escoffier. La touche de modernité que j’ai apportée provient de textures élaborées avec des scientifiques.
Le paleron que j’ai cuisiné est inspiré de la recette du bœuf braisé au Barolo que faisait ma grand-mère. Là, encore, grâce à la recherche, j’ai pu trouver la solution pour cuire ma viande dans un temps de compétition très contraint, tout en gardant les saveurs d’une cuisine à l’ancienne. Si je n’avais pas appris les techniques, ni échangé avec les scientifiques, je ne serais pas parvenu à réussir mon plat.
Que représente le statut de MOF dans votre parcours ?
Il a été le déclic pour sauter le pas et me lancer dans la compétition. Je voulais démontrer que la cuisine des MOF est d’une modernité ancestrale. Je citerais d’ailleurs l’un des points les plus importants de la charte des MOF : penser au passé, au présent et au futur.
Concernant l’avenir justement, le prochain candidat des Bocuse devra ajouter quelque chose de nouveau à son plat, tout en ne reniant pas le passé.
Les tensions qui pèsent sur les métiers de la restauration n’auront jamais été aussi fortes qu’actuellement. Qu’en pensez-vous ?
La question de l’emploi dans nos métiers est vaste et complexe. Ils sont exigeants en temps et en implications personnels. Il me semble donc normal que les heures soient payées plus, par exemple pour ceux qui travaillent le soir. La baisse des charges sur la masse salariale est aussi une question à se poser.
Le passage entre l’école le monde du travail est une vraie claque pour nos jeunes
La formation dans vos métiers est-elle toujours adaptée à la réalité des emplois dans les restaurants ?
Quand je reprends le restaurant Les Saisons de l’Institut Paul Bocuse en 2016, je mets en place une brigade fixe qui pendant 6 mois va se former en cuisine. Le passage entre l’école le monde du travail est une vraie claque pour nos jeunes. Il faut donc les former dans les conditions du réel pour qu’ils comprennent ce qui va les attendre.
Il faut savoir que pour un service complet de 40 couverts, la cuisine prépare plusieurs centaines d’assiettes en une heure et demi environ. C’est une vraie vocation ! Je ne possède pour ma part qu’un CAP Cuisine.
Que vous a apporté ce Bocuse d’Or ?
Il m’a permis de penser encore plus au futur. Je possède une base de travail et de technique qui va me permettre d’élargir les cadres de ma cuisine. Je n’ai pas de produit ou de plat signature qui m’inspirent. Tout m’intéresse, je suis quelqu’un de curieux et je n’ai pas envie de me mettre de barrières.
Il me manquait finalement cette projection vers l’avenir. Mon seul leitmotiv, une cuisine de mélanges en gardant une certaine simplicité.
Cette interview est tirée de notre supplément Tout Lyon à Table