Validée début janvier par le Conseil constitutionnel, une partie de la loi de finances 2021 est tournée vers le soutien et l'accompagnement des entreprises, en écho au plan de relance gouvernemental baptisé "France Relance", présenté en septembre dernier. Elle navigue, pêle-mêle, entre la baisse du taux de l'impôt sur les sociétés et la réduction de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, entre le renforcement de certaines aides sociales et la réévaluation libre des bilans. Tour d'horizon.
Dossier réalisé par Julien Thibert et Stéphanie Borg
Sommaire
1- Une loi pour accompagner les entreprises en temps de crise
2- Les atouts des professions réglementées pour décrypter
3- Des syndicats patronaux globalement satisfaits
4- David Alves (AMDG) : "La crise a ralenti nos process"
5- Des mesures aussi à titre privé
Une loi pour accompagner les entreprises en temps de crise
Votée dans un contexte sanitaire et économique de crise, sur la base d'une récession de -10 % du PIB en 2020 selon le gouvernement, la loi de finances (LF) 2021 s'appuie, en partie, sur les dispositions du plan France Relance, d'un montant global de 100 Md€ qui vise à "renforcer la compétitivité et l'indépendance de l'appareil productif", comme l'indiquait le ministre de l'économie Bruno Le Maire lors de la présentation de son projet devant les parlementaires en octobre dernier.
Aux accents définitivement "verts", avec, par exemple, l'instauration d'un crédit d'impôts pour la rénovation énergétique des bâtiments professionnels des TPE/PME à usage tertiaire, industriel, artisanal ou libéral engagée entre le 1er octobre 2020 et le 31 décembre 2021 (30 % des dépenses dans la limite de 25 000 €) ou pour l'installation d'un système de charge pour véhicule électrique jusqu'au 31 décembre 2023 et un mécanisme de sanction comme le malus CO2, ce cru 2021 "s'oriente, de manière pragmatique, vers le soutien aux entreprises avec des solutions fiscales concrètes et utiles", souligne l'Ordre des experts-comptables Auvergne-Rhône-Alpes.
© Pxhere / Une loi de finances aux accents définitivement "verts"
Baisse des impôts
Parmi les points notoires de la loi, la poursuite de la baisse des impôts pour les entreprises. D'abord, le taux réduit de l'impôt sur les sociétés qui s'applique sur les exercices ouverts depuis le 1er janvier 2021 (Art.18 de la LF). Il est fixé à 15 % pour les PME, sur une partie seulement des bénéfices, et s'applique dorénavant aux entreprises dont le chiffre d'affaires est compris entre 7,63 M€ et 10 M€.
"Cette évolution des taux est enclenchée et maintenue depuis loi de finance 2019", a commenté l'avocat Pierre Cottaz-Cordier, lors du décryptage de la loi de finances 2021 par l'interprofession (avocats, experts-comptables et notaires) à Lyon mardi 26 janvier. Ensuite, les articles 8, 29 et 42 de la LF entérinent la baisse de l'impôt de production (soit 10 Md€), qui passe de 28 % à 26,5 % pour les entreprises dont le chiffre d'affaire est inférieur à 250 M€, à 27, 5 % pour les autres.
Cotisation foncière des entreprises, un levier intéressant
L'objectif du gouvernement est d'atteindre un taux de 25 % d'ici 2022 pour l'ensemble des entreprises. Cette baisse de l'impôt de production s'effectue par les leviers de la cotisation foncière des entreprises (CFE), de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties acquittée par les entreprises (TFPB). La CVAE est ainsi divisée par deux (-50 %) : les collectivités locales (seules les régions supportent cette baisse) pourront porter à quatre ans (au lieu de la première année seulement) l'exonération de CFE accordée en cas de création ou d'extension d'établissements.
Les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre peuvent même exonérer de CFE les nouveaux établissements créés à compter du 1er janvier 2021, ainsi que les extensions d'établissement, pour trois ans. Sans oublier que le taux de plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée passe de 3 % à 2 %. Autant de mesures demandées, attendues – et obtenues - par les organisations patronales.
Renforcement des fonds propres et de la trésorerie
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Une autre mesure importante pour les entreprises, directement liée à la crise de la Covid-19, est l'instauration de la réévaluation libre des actifs corporels et financiers (art. 31 et 32) - les terrains, les immeubles ou les participations mais pas les fonds de commerce ou les marques. Par exemple, ce mécanisme permet aux entreprises qui ont terminé l'année 2020 en pertes d'en limiter leurs impacts.
"L'objectif, c'est le renforcement des fonds propres de l'entreprise, de donner une image fidèle du patrimoine de l'entreprise et d'accroitre ses capacités de financement", note Christophe Demeure, expert-comptable. Avec des conséquences sur l'impact fiscal, soit par un mécanisme de sursis, soit un étalement de l'imposition sur une durée de 5 ou de 15 ans selon la nature du bien. Ce dispositif, temporaire, s'applique à la première opération de réévaluation constatée au terme d'un exercice clos à compter du 31 décembre 2020 et jusqu'au 31 décembre 2022.
Autre mesure qui permet de dégager de la trésorerie : le lease-back d'immeuble (art. 33). S'il faut bien évidemment être propriétaire de son outil de production, il s'agit de refinancer son bien via une société de crédit-bail (opération réalisée entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2023) en devenant locataire avec option d'achat, le montant de la plus-value réalisée par le cédant pouvant être répartie sur une durée maximale de quinze ans.
Autre dispositif en lien direct avec la crise sanitaire : la prolongation de la déductibilité des abandons et renonciations de loyers consentis à une entreprise, intervenus entre le 15 avril 2020 et le 30 juin 2021. "Les pouvoirs publics font appel à la générosité des bailleurs et les incite à être généreux avec moins de regrets avec ce dispositif. Cela permet aux entreprises de maintenir leur endettement", note Séverine Girardon, notaire, vice-présidente de la Chambre des notaires du Rhône.
© Pxhere.com / Les bailleurs sont incités à se montrer "généreux" avec les entreprises, ce qui pourrait aider certains commerces à mieux passer la crise.
En outre, l'article 20 prévoit la création d'un crédit d'impôt de 50 % du montant des loyers au profit des bailleurs qui consentent, au plus tard le 31 décembre 2021, des abandons de loyers aux entreprises locataires touchées par la crise – même s'il ne concerne en réalité que le mois de novembre 2020.
Autre élément pour les entreprises – à puiser dans la 3e loi de finances rectificative de 2020 : bénéficier, sur demande, du remboursement anticipé (et immédiat) de leurs créances non utilisées de report en arrière des déficits (carry-back). Cette mesure concerne "le stock de créances de report en arrière des années précédentes comme les créances qui viennent à être constatées jusqu'aux exercices clos au31 décembre 2020".
"C'est très technique mais c'est un dispositif intéressant qui peut même faire naître une créance fiscale", commente Pierre Cottaz-Cordier.
Autres crédits d'impôts
Le secteur de la recherche fait aussi l'objet d'une harmonisation entre les opérateurs privés et publics dans le cadre de missions de recherches confiées à un organisme extérieur. L'ambition est de favoriser les synergies entre recherche privée et publique. L'article 8, précisément, prévoit de supprimer le taux majoré du Crédit impôt recherche (CIR) de 50 % et d'abaisser à 35 % au lieu de 40 % le taux majoré de crédit d'impôt innovation.
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Concrètement, quel que soit le statut auprès duquel l'entreprise sous-traite des opérations de recherche, les dépenses retenues sont les dépenses correspondantes seront retenues dans la limite de trois fois le montant total des autres dépenses de recherche. Et l'ensemble des dépenses de sous-traitance est plafonné à 10 millions d'euros par an en l'absence de liens de dépendance entre l'entreprise (2 millions d'euros dans le cas contraire).
En outre, le crédit d'impôt mécénat est étendu, pour les exercices clos à partir du 31 décembre 2021, aux versements qui profitent aux fédérations ou aux unions d'organismes agréés ayant pour objet de verser des aides financières ou de fournir des prestations d'accompagnement à des PME. Cette réduction d'impôt est égale à 60% des sommes versées, retenues dans la limite de 5 ‰ du chiffre d'affaires ou 20000 euros. D'autres crédits d'impôt sont étendus au cinéma, au théâtre ou à la musique.
TVA et facture électronique
L'article 132 instaure un régime optionnel de groupe pour la TVA pour les personnes indépendantes du point de vue juridique, mais qui restent étroitement liées entre elles sur les plans financier, économique et de l'organisation. Un régime déjà en vigueur dans 20 autres États membres de l'UE. Objectif : neutraliser les opérations intragroupes en TVA et alléger les obligations TVA de chacun des membres. L'option sera valable trois ans.
Par ailleurs, la réforme du régime de la TVA sur le commerce en ligne, qui devait être effectif au 1er janvier, mais repoussé au 1er juillet 2021, élargit la définition de ventes à distance intracommunautaire. "Actuellement, le terme de vente à distance désigne toute livraison de bien expédié ou transporté par le vendeur à destination de l'acquéreur particulier situé dans un autre Etat-membre de l'UE. Le paquet TVA prévoit que cette définition sera élargie aux ventes dans lesquelles le vendeur intervient de manière indirecte dans l'expédition ou le transport du bien : sous-traitance de l'expédition ou du transport, expédition ou transport sous la responsabilité du vendeur, etc…", explique le cabinet d'avocat Bignon Lebray sur son site.
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Un nouveau seuil a été acté pour la taxation des ventes à distance intracommunautaires. Il est harmonisé dans tous les États de l'Union européenne et abaissé à 10 000 € (contre 35 000 € actuellement pour les ventes vers la France). Les plates-formes en ligne facilitant les ventes à distance seront obligées de payer la TVA, et enfin un guichet unique sera créé pour les ventes à distance.
Pour lutter justement contre la fraude à la TVA, et simplifier les tâches administratives des entreprises, le législateur entend imposer la facturation électronique à l'orée de 2025. Progressivement, l'obligation d'accepter la réception de factures électroniques entrera en vigueur en 2023, et l'obligation d'émettre des factures électroniques entre 2023 et 2025. Dans le même esprit de simplification, la loi de finances pour 2021 supprime l'enregistrement obligatoire de certains actes de sociétés "à très faible enjeu budgétaire" comme l'augmentation ou la réduction de capital ou encore la constitution de GIE et rend possible le dépôt des actes de sociétés au greffe du tribunal avant l'exécution de la formalité́ d'enregistrement au service des impôts, même lorsque celle-ci reste obligatoire.