Dans la didascalie initiale Heiner Müller situe l’action de Quartett dans un salon d’avant la révolution française, un bunker d’après la 3ème guerre mondiale. Cet espace-temps ouvre tous les possibles à « classique » du XXème siècle sur lequel de nombreux metteurs en scène se sont cassés les dents. Certains trouvant même, dans l’opacité de ce texte dense et complexe, la justification de leur incapacité à en révéler les secrets. Ecrite en 1980, l’œuvre met en scène Merteuil et Valmont, les deux héros des Liaisons dangereuses. Purement imaginaire -les deux personnages ne se sont jamais rencontrés puisque le roman de Choderlos de Laclos est une succession de lettres-, leur dialogue ressemble davantage à un rituel, un jeu de rôles qui permet de faire émerger les figures de Mme de Tourvel et de Cécile de Volanges. Il y a du Beckett et du Genet dans ce cérémonial, dans ce huis clos où s’affrontent deux libertins
« Dans cette pièce, Merteuil et Valmont règlent des comptes, leurs comptes », précise Michel Raskine qui s’est installé dans la petite salle des Célestins pour préparer la création de ce texte. Et dans cette guerre, ils utilisent l’arme du langage comme peuvent les faire les héros des pièces de Marivaux. « Cette guerre fera une victime, Valmont ». Au bout de cette guerre des sexes, qui interroge la question érotique, la mort. « Dans cette pièce, Müller montre la voie vers la fin du monde, poursuit l’ancien directeur du Théâtre du Point du Jour. Quartett est une pièce nihiliste, noire, profondément désespérée ».
En choisissant ce texte ouvert, cette pièce qu’aucune version n’épuisera jamais totalement, Michel Raskine continue de questionner les sujets qui l’obsèdent. Le rapport à la mort bien sur, la brutalité de la séduction, l’emprise sur les autres, mais aussi la jeunesse. Pourquoi ne l’a-t-il pas montée auparavant ? Peut-être attendait-il de réunir les deux acteurs pour jouer Merteuil et Valmont. Le premier rôle revient à Marief Guittier, la muse, celle qui a joué dans tous ses spectacles. Le deuxième à Thomas Rortais, un jeune acteur qu’il a révélé avec Le Triomphe de l’amour de Marivaux. Pourquoi un tel écart d’âge ? « Avec deux quinquagénaires, le boulot aurait été fait à ma place ! J’ai voulu ajouter de la difficulté à la difficulté ».
Il semble que ce ne soit pas la seule surprise qui attende le public des Célestins. « Et si Valmont n’était que le fruit de l’imagination de Merteuil ? », propose Michel Raskine. Et si la pièce n’était qu’un simple rituel une nouvelle fois remis sur le métier comme dans Les Bonnes de Genet ? Et si Valmont n’était qu’une projection de sa jeunesse perdue, un rêve de jeunesse éternelle ? Et si, à travers Quartett, Michel Raskine revisitait le mythe de Faust ?
Théâtre des Célestins, 6 au 24 janvier