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Comment a débuté la grande aventure du festival ? À la base, vous étiez un homme de théâtre…
Oui mais ça c'est tellement vieux que je ne m'en souviens plus. Au départ, c'est toujours la même histoire. C'est le hasard. L'aventure commence mais on ne sait pas pour combien de temps. Je croise un ami qui m'indique que le nouveau maire de Rive-de-Gier (à l'époque André Géry, Ndlr) me dit qu'il veut créer un festival de jazz dans sa ville. Et cet ami me dit « tiens, toi qui aime le jazz, ça t'intéresserait peut-être ». Je contacte alors un ami qui s'appelait Maurice Merle, un artiste et musicien de grand talent. Je lui dit « tu sais on a l'opportunité peut-être de faire quelque chose (…) » et lui me réponds « banco, allez on y va ! ». On est partis comme ça. On a commencé très modestement sur deux journées et nous n'avons jamais eu la notion de pérenniser ou non une telle manifestation comme ça. Et puis ça a duré, deux ans, trois ans, quatre ans… Et on est arrivés à la 10e édition.
Vous n'aviez pas envisagé que cela dure si longtemps donc ?
Notre idée c'était de créer une rencontre avec le public sur le thème de la création contemporaine. Ce qui nous intéressait c'était la musique d'aujourd'hui, je veux dire contemporaine de l'époque, qui est aujourd'hui la musique d'hier. Je dirais que dans un premier temps l'esthétique musicale qu'on a proposée a beaucoup vu se déplacer un public pratiquement pour moitié de Lyon, pour une autre petite moitié un peu de toute la France et pour le reste de pays limitrophes. On avait peu de public de notre département. Quand j'y repense c'est vraiment très paradoxal.
À vous entendre, on a l'impression que tout s'est accompli de manière ordinaire, presque banale…
Je ne dis pas que tout s'est passé tout simplement comme ça, tout chaud tout rôti (rires)… Ça n'a pas été facile. Il y a eu des moments très compliqués, très durs. Les bagarres qu'on a menées pour arriver à 40 ans, il y en a eu beaucoup et je n'exclus pas qu'il y en ait d'autres. Mais ça encore, ce n'est pas extraordinaire, c'est ordinaire. C'est comme tout un chacun qui mène une aventure entrepreneuriale. Souvent on n'imagine pas que la vie d'un festival, c'est la vie d'une entreprise.
Justement, on reviendra sur les moments les plus difficiles… Mais tout d'abord, quels artistes avaient été programmés pour la première édition ?
Il y avait en tout quatre formations musicales qui représentaient 14 musiciens. Nous avions donné une note assez classique quand même pour ne pas trop effrayer tout le monde. On avait un musicien qui s'appelait Panama Francis et faisait plutôt du jazz classique. Par contre, il y avait aussi La Marmite infernale, Han Bennink et Peter Brotzmann… C'était très contemporain. Han Bennink c'était un mec (sic) qui arrivait avec juste une petite caisse claire sur scène. Et tout d'un coup, le plateau en bois de la scène devenait une percussion. Il partait en coulisses parce qu'il avait repéré une échelle en alu, la ramenait au milieu du plateau et jouait dessus. C'était un spectacle énorme. J'ai l'habitude de dire qu'on a beaucoup choqué, ulcéré. Je suis heureux de ça. On imposait rien, on proposait au public quelque chose qui venait de naître, de nouveau. J'ai écouté des gens qui disaient « c'est pas du jazz, c'est pas de la musique ». Ils sont devenus des spectateurs très fidèles du festival après. Mais je crois que c'est l'attitude normale face à la nouveauté. Face à elle, on a toujours un moment d'attente, de suspicion, de doute même. Ce sont les plus belles rencontres ça je crois, on se demande ce qu'il nous arrive puis ça galope dans l'imaginaire et après on en redemande encore plus. C'est le mystère du geste artistique qui est parfois totalement déroutant, incompréhensible. Regardez le Coucher de soleil de Monnet. On a dit que ce n'était pas de la peinture, aujourd'hui c'est cité comme un grand classique.
« On souhaite que chaque soirée soit un moment de découverte précieux »
Il avait été dit qu'une fois vous auriez voulu faire venir Aretha Franklin mais pour des raisons budgétaires vous aviez dû renoncer. Le regrettez-vous ?
Je me refuse à aligner les dollars et sacrifier d'autres concerts. Nous ne sommes pas une course aux noms connus. On est plutôt dans une course à la découverte, à la création. On souhaite que chaque soirée soit un moment de découverte précieux. Je crois que le public est très sensible à ça. C'est aussi la raison pour laquelle notre politique tarifaire est basse. On reçoit de l'argent public donc on le rend au public. Je n'ai pas de regrets sur les artistes qu'on n'a pas pu faire venir. On avait pu programmer une année Philippe Glass, Barbara Hendrix mais c'était au hasard des tournées, car souvent le mois d'octobre, après les festivals d'été, est dédié aux tournées et ce n'est pas facile de faire des créations uniques.
Comment se construit et s'articule la programmation ?
Le réseau. Il faut bien connaître le champ artistique et être connu de lui. C'est une démarche très empirique, un travail de fourmi, de recherche puis d'assemblage comme si c'était un seul morceau qui dure trois semaines et qui donne une sorte d'alchimie bizarre. Et pour ça, Ludovic (Chazalon) connaît très bien son domaine. Après, qui a décroché le premier son téléphone, je ne sais pas. Nous ne sommes pas dans une démarche commerciale, on essaie que la palette soit la plus complète possible mais si on voulait vraiment être complets on pourrait faire un festival de trois mois (rires).
Quels moments du Rhino ont été les plus difficiles ? Pouvons-nous revenir sur votre départ de Rive-de-Gier pour Saint-Chamond ?
Disons que c'était une séparation dont les personnes concernées n'étaient pas responsables. On nous a fait divorcer. Aujourd'hui on est magnifiquement accueillis depuis dix ans à Saint-Chamond. Le reste, c'est dans les oubliettes, on s'en fout (sic). Le maire, Jean-Claude Charvin, un ami d'enfance, fait beaucoup pour le Rhino. Il y a beaucoup d'événements cette année organisés à Rive-de-Gier. Les moments compliqués ont toujours été à cause de problèmes de financement. On ne les avait pas les 25 premières années du festival. Il faut se battre encore plus maintenant parce que chaque financement est compliqué à obtenir, les collectivités locales et territoriales ont de moins en moins de budget. Un des moments les plus compliqués a été en 2014 avec la Région mais là je suis monté au créneau. La seule collectivité qui nous a augmenté cette année c'est le Département, ça mérite d'être cité. J'espère que cela donnera des idées aux autres en 2019.
Justement, quel est le montant de votre budget ?
Il est composé à 30 % de subventions publiques, le reste étant du mécénat privé et la billetterie. Mais je ne préfère pas qu'on l'annonce en euros, pour certains ce n'est pas assez, pour d'autres c'est trop.
Avez-vous un coup de cœur pour un artiste en particulier ?
J'ai de grosses accointances amicales et artistiques avec le trompettiste Pino Minafra et son fils Livio. Ce dernier sera d'ailleurs à Rive-de-Gier le 11 octobre. Ensuite j'écoute beaucoup le tromboniste Anderson. Il me vient deux noms à l'esprit, après ce n'est pas sélectif, je pourrais en citer 20.
Avez-vous déjà des idées pour 2019 ?
Oui, on réfléchit, on cogite. Mais en attendant, on concentre tout sur la 40e édition qui est la plus lourde qu'on ait jamais eu à organiser. Après, j'aimerais vous dire beaucoup de choses mais cela reste fragile, rien n'est fixé encore. Cela fait des années qu'on aimerait faire une édition sur les big band, qui sont aussi impressionnants pour moi que les solos. Le big band c'est un solo qui se démultiplie et à l'inverse, le solo est réduit à un seul instrument. J'aime bien ces deux extrêmes.
Le mot de la fin. Où vous voyez-vous dans dix ans ?
Je me vois en interview avec vous, certainement en train de vous dire : « Vivement la 50e édition ! »