Pas facile d'animer un réseau de filiales à l'étranger, d'assurer l'approvisionnement de sa marchandise sur un marché lointain au départ de la France ou simplement de partir en prospection dans un pays cible.
À l'heure où la plupart des frontières sont fermées et les avions cloués au sol, l'internationalisation des entreprises françaises reste pourtant un levier toujours actif de croissance, tandis que la crise crée des opportunités presque tous azimuts.
Dossier réalisé par Julien Thibert, Sevim Sonmez, Stéphanie Véron et Noémie Coquet
Sommaire
1- Des opportunités malgré tout
2- Emball'iso, des filiales sur quatre continents pour s'adapter à la crise
3- L'entreprise Serge Ferrari rayonne dans 80 pays
4- Barriquand Technologies soumis aux aléas politiques de la planète
5- Brexit : entre opportunités et vigilance en Auvergne-Rhône-Alpes
6- Philippe Guerand : "Team France Export, un travail d'équipe !"
Des opportunités malgré tout
Les entreprises françaises, de toutes tailles et de tous les secteurs, ont dû se réorganiser dans l'urgence dès la mi-mars 2020. Celles qui ont une activité à l'international, soit à travers des filiales, un agent ou via l'export en direct, ont redoublé d'efforts en pilotant à distance cette mue accélérée pour opérer en mode "Covid", alors même que l'ensemble de la planète était touchée en même temps par l'épidémie.
À l'origine de 12 % de l'ensemble des exportations françaises de marchandises, selon les Douanes et Business France, la région Auvergne-Rhône- Alpes pèse particulièrement dans l'activité internationale de la France, notamment en matière de produits en caoutchouc et plastique (22 %) et de machines et équipements (20 %). En 2019, 61 milliards d'euros de biens et marchandises ont été exportés (+1,7 % par rapport à 2018) avec un peu plus de 36 000 entreprises locales qui possèdent une activité à l'international.
L'export en "distanciel"
Mais l'activité économique hors des frontières ne s'est pas arrêtée malgré certaines contraintes. La situation pandémique a même révélé des opportunités de marchés dans certains secteurs. Le Medef International et le Mouvement des Entreprises de Taille Intermédiaire (METI), associés à Inuo Strategic Impact, ont produit une étude en juillet 2020 intitulée "Les ETI à l'international, à l'épreuve de la Covid-19" réalisée auprès d'environ 250 dirigeants ETI à qui l'on a demandé d'expliquer les stratégies d'internationalisation de leur entreprise, avant et après l'épidémie de la Covid-19.
L'étude montre la résilience de ces ETI, qui restent une référence en matière d'agilité et de vision long termiste à l'international, face à la crise et révèle des mutations intéressantes dans la perspective de leur développement. L'étude montre ainsi, qu'avant mars 2020, elles réalisaient 34 % des exportations françaises alors même qu'elles ne représentent que 4 % du nombre des exportateurs.
Ce qui ne les a pas empêchés de subir les effet de la pandémie : 60 % des ETI constatent une baisse de leur chiffre d'affaires à l'international au premier semestre 2020. Pour 22 % d'entre elles, cette baisse est supérieure à un quart de leur chiffre d'affaires.
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L'export comme amortisseur
Pourtant, la forte présence internationale qui les caractérise – via les exportations ou les implantations – a joué un rôle important d'amortisseur face à la crise : la diversification de leur exposition, notamment, a permis à la majorité d'entre elles de résister et de maintenir les emplois dans les territoires. 72,5 % des ETI interrogées estiment que leur présence à l'international les a aidées à surmonter la crise. La crise a surtout eu pour conséquence de reporter ou ralentir les projets de développement à l'international (85,5 %).
Seules 13 % des ETI les ont annulés. "Beaucoup d'entreprises nous ont mandatés pour diverses missions à l'étranger puisque plus personne ne pouvait prendre l'avion dès la mi-mars. Les dirigeants se sont appuyés sur nos bureaux implantés dans plusieurs pays externalisant leur sous- traitance. Il pouvait s'agir de la mise à disposition d'un de nos collaborateurs indiens pour effectuer une veille localement ou d'un mandat pour auditionner une filiale en Russie", confirme Boris Lechevalier, fondateur et dirigeant d'Altios International, groupe lyonnais spécialisé dans l'accompagnement des entreprises à l'international.
L'export en "distanciel" ? "Les entreprises n'ont pas d'autre choix que de s'organiser autrement pour poursuivre leur activité. Bien sûr les visioconférences se sont révélées très pratiques pour poursuivre l'animation de filiales ou négocier un contrat avec un distributeur local. Des formations sur de nouveaux produits ont été même dispensées à distance pour les collaborateurs expatriés", poursuit Boris Lechevalier.
Le boom des croissances externes
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L'expert note également un boom des croissances externes qui représentent 90 % de ses mandats actuels. "Les zones propices à de telles opérations sont principalement l'Amérique du Nord, l'Allemagne, l'Italie et l'Europe de l'Est", poursuit-il.
Deux raisons à cela : "un contexte capitalistique pré-existant à la crise dont la dimension prédatrice est exacerbée par des entreprises en difficulté et qui aiguisent donc l'esprit de conquête. Et puis un contexte psychologique du dirigeant dont le business est en difficulté et qui est plus enclin à la discussion", détaille encore le consultant regroupé au sein de la fédération des Opérateurs spécialistes du commerce international (OSCI).
L'export, un atout
"La diversification de nos produits et services, nos 13 implantations et un réseau de partenaires sur tous les continents sont une force pour passer ces périodes compliquées", abonde Gilles Maller, vice-président de Clextral en charge des ventes et de l'international.
Fabricant d'équipement d'extrusion pour l'industrie agro-alimentaire basé à Firminy, Clextral (60 M€ de CA dont 80 % à l'export, 320 personnes) a pu passer l'année 2020 en minimisant les turbulences (-10 % d'activité en moins) même si sa clientèle mondiale est composée à 70 % de professionnels de l'agro-alimentaire, un secteur resté actif pendant la crise.
Celui qui est également Conseiller du commerce extérieur (CCE, experts bénévoles de l'international) confirme qu'une ETI qui s'internationalise s'en sort mieux que les autres. "Nos implantations sont autonomes et fonctionnent comme des bulles. Elles évoluent localement sans un pilotage quotidien depuis la base française, qui reste notre site unique de production je le précise". Clextral a même pu effectuer des démarrages d'usine, basées au Salvador, en Suède ou encore en Thaïlande, pour des clients, à distance.
Des aides publiques
Les perspectives de développement confirment cet esprit de conquête à l'international : par exemple, toujours selon l'étude du Medef et du METI, 50 % des ETI veulent consolider leur présence en Europe. Et pour se développer à l'international, 93 % d'entre elles veulent mobiliser en priorité leurs fonds propres, les financements publics ne jouant qu'un rôle secondaire dans le financement des ETI (30 %).
Pourtant, la puissance publique s'est mobilisée pour répondre aux enjeux de maintien et de développement de l'activité des entreprises hors des frontières, à travers, par exemple, le chèque relance export.
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Une aide nationale spécifique qui s'inscrit dans le plan de relance de 100 Md€ lancé par le gouvernement en septembre dernier, mais abondé par une aide publique de la région Auvergne-Rhône-Alpes à hauteur de 250 M€. Localement, il a bien fonctionné grâce à cette subvention qui prend en charge 50 % du coût total de la prestation "export" de l'entreprise et plafonnée à 2 500 € pour la participation à un Pavillon France, 1 500 € pour la participation à une rencontre BtoB et 2 000 € pour les prestations individuelles d'accompagnement.
Y sont encore éligibles les micro- entreprises/TPE (moins de 10 salariés et un chiffre d'affaires ou total bilan inférieur à 2 M€) et les PME (effectif entre 10 et 49 salariés et un chiffre d'affaires annuel ou total bilan inférieur à 10 M€). Sont éligibles par ailleurs au chèque relance national : les PME (moins de 250 salariés avec un chiffre d'affaires inférieur à 50 M€ et un total bilan inférieur à 43 M€) et les ETI (effectif entre 250 et 5 000 salariés, avec un chiffre d'affaires inférieur à 1 500 M€ et un total bilan inférieur à 2 000 M€). "
"Obligés de bousculer nos habitudes de travail"
C'est une autre façon de travailler mais la Covid-19 nous a finalement obligés à bousculer nos habitudes de travail. Nous étions de toute façon contraints et forcés par l'épidémie", confirme Christian Sénégas, Pdg de Forézienne MFLS (Loire). Le fabricant de lames de scie et d'outils coupants, créé en 1977 intervient dans plus d'une centaine de pays avec une couverture pour l'essentiel en Allemagne, en Espagne (où il détient une filiale à Valladolid), au Chili ou encore en Nouvelle-Zélande.
Si l'entreprise réalise près de 80 % de son chiffre d'affaires à l'export, dont 50 % sur la partie fabrication, elle a dû revoir sa participation à la vingtaine de salons professionnels à l'international qui composent ses grands rendez-vous annuels. De plus, les équipes amenées à intervenir notamment au Chili pour la maintenance des machines spéciales, n'effectuent peu, voire plus, de déplacements depuis cette période.
"Le site Internet a vraiment permis de booster cette partie-là au plus fort de la crise. Que ce soit pour des clients habituels ou de nouveaux, nous avons pu continuer à fournir la matière première contrairement à nos concurrents étrangers. Cela a vraiment été une force pour nous d'avoir le savoir-faire et le stock nécessaire pour fait face à la crise", souligne Christian Sénégas.
L'impact de la Covid-19 sur l'activité du groupe qui a enregistré 35 M€ de chiffre d'affaires en 2019 (maintenu à 0,9 % près en 2020) ne devrait donc pas se faire ressentir. "Ce sera sûrement même mieux en termes de rentabilité car les frais généraux, notamment pour le déplacement à l'étranger de nos collaborateurs, ont baissé".
Opportunités transnationales
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Globalement, le contexte de crise pour les entreprises déjà internationalisées ouvre de nouvelles perspectives de croissance hors des frontières, et dans certains cas renforce et accélère des stratégies déjà pressenties : pour 17 % des ETI, la crise va accélérer des projets à l'international. Les opérations de croissance externe pourraient ainsi générer de nouvelles opportunités de développement à l'international.
De manière générale, la possibilité d'acquérir des sociétés à l'international dépendra de la capacité financière des ETI et la visibilité post-Covid. La crise a permis à de nombreuses entreprises d'identifier de nouveaux leviers de croissance (numérisation, nouvelles technologies, recrutement, réorganisation). Certaines ETI espèrent bénéficier de certaines réglementations pour développer leurs activités (secteur environnemental, médical, industriel par exemple).
L'autonomie et l'expertise des filiales implantées à l'étranger sont des données qui ressortent de "l'expérience Covid" chez les entreprises internationalisées. C'est le cas de l'entreprise Blezat, fondée en 1950 par George Blezat, toujours en activité, mais présidée par sa fille, Marie-Laure Blezat-Dubourreau.
L'exemple de Blezat
L'entreprise familiale, spécialisée dans l'architecture et l'ingénierie d'unité de productions industrielles, est implantée depuis 20 ans environ en Europe centrale et plus récemment en Afrique, via des filiales. Blezat (7 M€ de CA, 30 % à l'export, 30 collaborateurs) a souhaité recentrer son activité en Europe de l'Est, en s'appuyant sur sa filiale polonaise.
Le groupe a pu bénéficier d'un chèque de relance export pour financer une étude personnalisée sur ce marché. "Notre rapprochement avec Atrix Groupe en juillet dernier, une société indépendante spécialisée dans les prestations d'ingénierie industrielle, nous a poussé à réorganiser nos activités, notamment à l'étranger, en renforçant notre filiale de Varsovie, sur un marché où il y avait de vraies opportunités dans ce secteur. Et puis c'est un moyen de rayonner depuis la Pologne sur l'ensemble de l'Europe de l'Est et même en Russie, où nous avions une implantation que nous avons fermée, justement dans cette perspective de recentrage", explique Olga Pankova, responsable du développement chez Blezat.
Sans communiquer sur ses résultats 2020, Blezat confirme que l'autonomie et le dynamisme de leur filiale polonaise a permis de gérer les projets malgré la crise et les confinements, et donc d'encaisser le choc économique lié à la pandémie. L'expertise reconnue de Blezat dans un secteur très spécialisé lui permet d'être aujourd'hui sollicité directement par des clients qui souhaitent ouvrir des usines à l'étranger.
"Nous connaissons la réglementation en vigueur dans une quinzaine de pays ce qui nous permet de gérer des projets, même à distance, dans ce contexte de crise", conclut Olga Pankova.