Seront-ils les nouveaux Robert Badinter ou Eric Dupont-Moretti ? Toujours est-il que les finalistes du 15e concours de plaidoirie n'ont pas manqué de citer, tout au long de leurs argumentaires, ces deux ténors du barreau. L'événement organisé par l'Edara (Ecole des avocats de Rhône-Alpes) et l'Adea (Association des élèves avocats) s'est tenu à l'Université catholique de Lyon. Les participants ont plaidé devant leurs camarades, mais aussi et surtout devant un jury de professionnels (voir encadré).
La soirée était divisée en deux parties : la petite finale, qui opposait les deux perdants des demi-finales, Manon Couvreur et Bastien Girard, puis la finale, disputée par Yassine Kassa et Dounia Belghazi. Au terme de chacune des deux épreuves, le jury, présidé par le président du tribunal judiciaire de Lyon Michael Janas, a longuement délibéré, pour annoncer le verdict en fin de concours.
Les participants à la petite finale devaient plaider sur “le sentiment d'injustice des justiciables”. Les deux futurs avocats ont entamé en insistant sur le sentiment d'injustice ressenti.
La jeune femme a ensuite insisté sur la judiciarisation de la société, phénomène amenant à abaisser le niveau de tolérance face à une injustice réelle ou ressentie. Manon Couvreur a notamment évoqué la détention provisoire, “une injustice dont certains ont du mal à se relever, une atteinte à la présomption d'innocence”.
Une justice injuste, en somme, comme chez Molière où l'on pend l'accusé avant même la tenue du procès.
"Si la justice était juste, elle n'aurait plus besoin d'avocats"
Après avoir évoqué les grandes erreurs judiciaires (affaire Dreyfus, d'Outreau, etc.), la future avocate a affirmé que le sentiment d'injustice pouvait être légitime. Et qu'il ne disparaîtra pas, même si l'on faisait disparaître le facteur humain avec, par exemple, une justice dématérialisée et prédictive.
"Cette situation est regrettable mais elle ne me désole pas", a-t-elle paradoxalement lancé. Pourquoi ? "Car si la justice était juste, elle n'aurait plus besoin d'avocats !".
Son adversaire et camarade, quant à lui, s'est questionné sur l'injustice. Il a distingué celle à laquelle on ne peut échapper, et celle apportée par les décisions arbitraires des humains. Celle qui est insupportable.
Il a comparé les citoyens qui attendent une réponse de la justice à Joseph K, le héros de Kafka, qui, dans Le Procès, se bat pour comprendre pourquoi il est arrêté. Ce citoyen ordinaire ne trouve pas de réponse judiciaire à un problème qu'il pensait si simple, ce qui le convainc de vivre une injustice.
De l'affaire Halimi à celle de Viry-Châtillon
Il a ensuite cité Victor Hugo, qui a écrit que souvent, “la foule trahit le peuple”. “Dans son sentiment d'injustice, elle manifeste devant les tribunaux”, a expliqué Bastien Girard. Et de prendre pour exemple l'affaire Halimi, pour laquelle la foule “hétéroclite” a réclamé la tenue d'un procès, ou encore l'affaire de Viry-Châtillon, où une foule “en tenue bourgeoise” a affirmé que les peines prononcées n'étaient pas suffisantes.
Le jeune homme s'en est finalement remis à la mythologie grecque, dans laquelle on peut lire que “l'erreur est possible, car la vérité n'est qu'illusion”. Comment, alors, lutter contre le sentiment d'injustice ? “Il faut revenir à la parole, l'humanisation et donner plus de place à l'éloquence et la persuasion”.
"La bonne plaidoirie fait le bon plaideur"
Vint ensuite le tour des finalistes, qui devaient s'affronter sur le thème : “la réussite d'une plaidoirie est-elle affaire de sujet ou de plaideur ?” Vaste question, à laquelle a tenté de répondre Yassine Kassa, premier candidat à se lancer, qui n'a pas manqué de souligner que “(sa) présence vous prive de celle de mon binôme". En effet, dans les étapes précédentes, il avait choisi de mener cette compétition avec sa camarade Manon Delforno.
Le jeune homme a commencé par essayer de définir ce qu'était un bon plaideur. Et après avoir (lui aussi) évoqué Badinter et Dupont-Moretti, il en est arrivé à la conclusion qu'il n'en avait aucune idée ! Il a alors demandé leur avis à ses colocataires, “mes tantes adorées, psychanalystes, un mélange de Maradona, Carlos Gardel et Sigmund Freud”, ce qu'était un bon plaideur. Ce à quoi elles lui ont répondu "qu'un bon plaideur, ça commence par de belles chaussures”, a raconté, perplexe, l'étudiant en baskets.
Pour Yassine Kassa, la robe de l'avocat est une “soutane juridique”, qui “permet d'effacer la personne du plaideur”. “La bonne plaidoirie fait le bon plaideur”, a-t-il ajouté, ne pouvant s'empêcher de paraphraser le grand philosophe Edouard Baer : “Il n'y a pas de bon ou de mauvais plaideur”.
Toujours est-il que la bonne plaidoirie demande travail, rigueur et passion. “Aux derniers instants de cette délicieuse aventure, ce sujet fait de moi un plaideur heureux. Ce moment est déjà une victoire”.
“Plaider, c'est un sport collectif”
Place ensuite à Dounia Belghazi qui s'est attelée à “la lourde tâche de plaider après un contradicteur hors pair, désormais ami et futur confrère”. Pour elle, le bon plaideur, “c'est celui qui vit sa plaidoirie, qui réussit à donner vie aux mots (...). Ce n'est pas un one man show. Plaider, c'est un sport collectif. Je serai satisfaite si je réussis à toucher vos coeurs et vos esprits”.
La jeune femme a insisté sur le fait que “tout n'est que question d'éclairage”. “Réussir sa plaidoirie, c'est trouver le point de bascule”. Et de citer l'exemple de Patrick Dils, acquitté après avoir été accusé du meurtre d'un enfant, grâce à une plaidoirie “essentielle” qui a “transformé le doute en intime conviction”.
“Plaider, c'est porter des voix, prendre des positions. C'est avec émotion et fierté que je plaide devant vous car rien ne me destinait à cela. Au lycée, on m'a fait comprendre que je n'étais pas maître de mon destin, qu'il ne serait pas possible que je sois avocate. Je souhaite remercier publiquement la personne ayant tenu ce discours : je me suis attelée à me prouver le contraire.”
Si son adversaire a séduit le jury par sa verve et son humour, c'est finalement Dounia Belghazi qui a remporté la finale, avec sa plaidoirie de haut vol.
Un jury cinq étoiles
Le jury était composé de Michael Janas, président du jury et président du tribunal judiciaire de Lyon, Me Saint-Pierre, avocat, M. le bâtonnier Hamel, avocat et ancien bâtonnier du barreau de Lyon, M. le bâtonnier Galletti, avocat, ancien bâtonnier de Saint-Etienne et président de l'Edara, M. le bâtonnier Deygas, avocat et bâtonnier du barreau de Lyon, Mme Surrel, professeur et directrice de Science Po Lyon, M. Jacquet, procureur de la République au tribunal judiciaire de Lyon, Me Laurent, avocate et bâtonnière élue du barreau de Lyon et Me Carlot, avocat honoraire.