On peut ajouter le qualificatif troublant, car Bonello fait très bien le « go-between » avec notre époque, les trottoirs des boulevards des grandes villes qui ont remplacé les maisons closes mais rien n’a changé. Il a oublié les maisons closes numériques, mais ce n’était pas son sujet.
Un petit côté « années 70 » de L’Apollonide passe par la musique soul qui revient de temps à autre, et donne une modernité prégnante, de sorte qu’il est impossible de se dire « C’est une autre époque, cela n’existe plus… ». Oui, Marthe Richard a fait fermer les maisons closes en 1946, était-ce une ou une mauvaise bonne chose ? Vaste débat, hors cadre du cinéma. Et en prime, Bonello réussit un film très esthétique, d’une beauté formelle très inspirée des impressionnistes de Manet à Renoir, et par le mythique film de son fils Jean Renoir, Une partie de campagne, pour la magnifique séquence de la « sortie » des filles.
La Bohème de Puccini accompagne quelques scènes d’une beauté tragique renversante, avec la « femme qui rit » au cœur de l’intrigue, avec quelques images assez dures. Les personnages de prostituées sont toutes intelligentes et instruites, on est dans le luxe, la culture, la beauté, mais cela ne change rien à l’humiliation des corps et des êtres, à leur aliénation à un système de proxénétisme « doux » mais impitoyable pratiqué par une femme, elle-même ancienne prostituée, et mère de deux enfants…là encore, la règle du jeu, comme aurait dit Renoir est clairement posée, tout le monde est là en connaissance de cause, n’ignorant rien des risques du métiers, « p… de métier ».
Eric Séveyrat