Pas de rendez-vous mondial à Las Vegas pour le CES 2021, la grand-messe annuelle mondiale des nouvelles technologies. Bouleversé par la crise du Covid-19, l'édition 2021 du Consumer Electronics Show se déroulera uniquement en virtuel. Les organisateurs du CES, qui débute ce lundi 11 janvier pour s'achever jeudi 14 janvier, tablent tout de même sur 200 000 visiteurs digitaux et se veulent rassurants - notamment en ouvrant une plateforme opérationnelle quinze jours après le salon pour prolonger les contacts.
Les organisateurs évoquent une édition "immersive". Une promesse ambitieuse pour ce nouveau format qui devrait permettre aux participants d'appréhender les innovations, de découvrir les technologies de pointe et les derniers lancements de produits, voire même de s'engager avec des marques mondiales et des startups internationales.
La scène mondiale de l'innovation
"La technologie nous aide à travailler, à apprendre et à rester connectés pendant la pandémie – et ces innovations nous aideront également à réinventer le CES 2021 et à rassembler la communauté technologique de manière significative. En passant à une plateforme entièrement numérique pour 2021, nous pouvons offrir une expérience unique qui aide nos exposants à se connecter avec les publics existants et nouveaux", expliquait en juillet dernier Gary Shapiro, directeur général de la Consumer Technology Association (CTA), la structure organisatrice du CES.
En 50 ans, le CES s'est imposé comme la scène mondiale de l'innovation. Cette année, l'objectif de la CTA est de fournir une plate-forme attrayante pour les entreprises, grandes et petites, pour lancer des produits, créer des marques et former des partenariats, tout en donnant la priorité à la santé et à la sécurité. "Les membres de la communauté technologique prospèrent en se rassemblant, en partageant des idées et en présentant des produits qui façonneront notre avenir", complète Gary Shapiro.
Auvergne-Rhône-Alpes : une délégation historique
Historiquement, Auvergne-Rhône-Alpes a toujours fait partie des grosses délégations, avant même Paris. "Je suis allé au CES à huit reprises pour Minalogic. En 2012, on comptait 15 entreprises, contre 40 l'an passé. La région Auvergne-Rhône-Alpes s'est emparée du salon. Emmanuel Macron, lorsqu'il était ministre de l'Économie, s'y était rendu, et il a incarné la French Tech. Il n'y a aucun pays qui envoie autant de politiques au CES que la France", confirme Philippe Wieczorek, directeur R&D et innovation du pôle de compétitivité mondial des technologies du numérique Minalogic.
Cette année, 14 entreprises d'Auvergne-Rhône-Alpes – contre près de 40 l'année dernière - "partent" au CES 2021 sous l'égide de la Région qui a reconduit la mission de Minalogic, en partenariat avec Business France et Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises, pour accompagner ses pépites régionales dans l'appréhension de cette édition si particulière.
© DR / Philippe Wieczorek
Les atouts du label French tech
"Cette présence régionale est organisée par Minalogic dans le cadre du Plan de développement international de la région Auvergne-Rhône-Alpes (PDI). Minalogic acquiert le stand et le revend aux participants. La Région octroie une subvention à des entreprises et nous les redistribuons. Le pôle ne s'affiche pas. C'est la Région qui détient un stand à ses couleurs. Mais toutes les entreprises ne participent pas par notre intermédiaire. Certaines partent via d'autres structures, d'autres s'y inscrivent seules", détaille Philippe Wieczorek.
En revanche, il reste critique envers la bannière French Tech en région qui, selon lui, n'a pas donné assez de moyens locaux. "Pour autant, au niveau national, c'est très fédérateur depuis 2014. Elle est désormais la deuxième nation la plus représentée au CES même si, en termes d'innovation, la France reste derrière la Chine ou Israël. L'Allemagne doit être à la 10e position au CES."
Un label qui a permis, surtout, aux entreprises d'être plus visibles. "Avant, on nous voyait comme incapables d'innover. Notre visibilité est due à ce label French Tech, qui est un porte-drapeau moins connoté qu'un pavillon national. Les autres pays ont chacun un stand national très institutionnel, alors qu'en France, les start-ups se sont appropriées ce label. Sur le stand israélien, les entreprises ne sont pas visibles, alors que les entreprises françaises sont dans le catalogue, rangées dans la rubrique France. Je tiens beaucoup à cela", poursuit-il.
La technologie dépasse le simple rôle d'aide matérielle
Que ce soit sous l'étendard de la Région ou par l'intermédiaire d'autres organisations, les jeunes pousses comptent sur la visibilité qu'apporte ce temple de l'innovation technologique, ainsi que sur les contacts et contrats qui peuvent en découler.
Spécialiste de la transformation digitale des entreprises, la société bretonne Niji qui possède des bureaux à Lyon, avait participé à la dernière édition. "Nous avons eu l'occasion de découvrir de nombreuses innovations autour de nouvelles expériences, de nouveaux business models, de nouvelles technologies. L'édition 2020 nous a propulsé dans un monde augmenté, un avenir où l'humain peut nous paraitre un peu assisté. De la beauté à la santé, en passant par le travail, la mobilité, le sport, avant même une naissance et jusqu'après la disparition, la technologie dépasse le simple rôle d'aide matérielle et fait alors partie intégrante de l'Homme de demain, explique Jérôme Grondin, responsable du Lab Innovation de Niji.
"Nous sommes aujourd'hui partagés entre cette vision de "l'humain augmenté", possiblement paresseux, polluant et cette vision porteuse d'espoir présentée, à l'image des innovations durables et de la tech for good".
Une opportunité de nouer de nouveaux contacts
La start-up BeFC, basée à Grenoble, participe cette année au CES virtuel de Las Vegas dont elle vient, en amont, de recevoir le CES 2021 Innovation Award Honoree, pour sa solution énergétique qui permet de créer de l'électricité à partir de papiers et d'enzymes. "Nous pouvons à présent produire 1 000 unités par jour et nous comptons atteindre les 80 000 unités par jour en 2022", relève Marie Berthuel, responsable scientifique de la société aux six brevets, co-fondée par Jules Hammond, actuel président, Jean-Francis Bloch, directeur général, Michael Holzinger et Andrew Gross.
Une première levée de fonds de 3 millions d'euros a eu lieu en juin 2020, auprès de Demeter, Supernova Investi et BNP Paribas développement. Cette année, BeFC compte signer des contrats de co-développement, atteindre une production d'une dizaine de milliers d'unités par jours avec un robot "pick and place", et reste ouverte à des opportunités d'investissements pour série A (2e levée de fonds).
Le CES 2021 devrait justement lui permettre de nouer de nouveaux contacts, "notamment de clients ayant besoin de cette technologie spécialement customisée pour leurs objets", précise Marie Berthuel, qui compte également sur l'impact médiatique lié au CES et au prix reçu. Pour 2022, l'entreprise de quinze salariés prévoit d'étendre son unité de fabrication de masse et opérer une deuxième levée de fonds.
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Le même effet accélérateur ?
Une incertitude plane cependant : cette version digitale du "salon de tous les possibles" sera-t-elle à la hauteur des espérances ? Les connexions seront-elles au rendez-vous ? Sûrement l'un des plus gros défis du CES depuis sa création en 1967 - la toute première édition avait attiré 117 exposants et 17 000 visiteurs. "Les organisateurs communiquent sur une participation plus élevée qu'en présentiel. Le CES accueille en général 150 à 180 000 visiteurs, là, ils tablent sur plus de 200 000 personnes. Peut-être que certains pensent gagner du temps grâce à la version virtuelle", analyse Philippe Wieczorek.
En 2019, Juliette Jarry, vice-présidente déléguée au numérique de la région Auvergne-Rhône-Alpes expliquait que les clés de la réussite pour une telle opération, qu'elle soit d'ailleurs digitale ou physique, étaient de gérer l'après. "Les start-up doivent répondre très vite aux demandes reçues sur le CES et ce n'est pas toujours facile."
L'année dernière, la région avait conduit un partenariat avec emLyon pour permettre aux start-up d'avoir le soutien d'un étudiant afin qu'il traite les contacts avant, mais aussi après l'événement. "Une personne en plus, ça fait toute la différence pour des structures souvent de petite taille", précisait l'élue.
2021, plus que jamais année à enjeux pour l'industrie numérique mondiale
Cette année, si cette éventualité peut-être reconduite par les entreprises, "l'enjeu pour les start-ups était de se préparer très en amont avec des sessions de coaching avec un Américain, de préparer des pages web, des vidéos, d'expérimenter le live, etc.", poursuit Philippe Wieczorek. Néanmoins elles ne bénéficieront pas de "l'esprit déambulation" du salon, notamment sur l'Eureka Park, le grand espace dédié aux start-up.
"Souvent, les participants ont de belles surprises. Par rapport aux autres salons, le CES est incroyable pour les petites entreprises. Les affaires se signent là-bas ou elles y débutent et se signent sur des salons suivants, comme à Taïwan. Je redoute qu'il n'y ait pas cette émulation même si la plateforme de prise de rendez-vous restera ouverte après le salon", avance-t-il.
2021 s'annonce plus que jamais comme une année à enjeux pour l'industrie numérique mondiale dans un contexte Covid à l'effet accélérateur en matière de digital. "La crise a montré à tout le monde que l'on change d'époque. Ceux qui ne développeront pas le numérique resteront sur le carreau. Cela implique que les entreprises prestataires étoffent leur offre, et que les clients dressent leur plan stratégique de développement pour les prochaines années. Avec des effectifs en croissance de 19,5 % entre 2014 et 2018, notre secteur est à l'origine de la création d'un emploi sur douze en Auvergne-Rhône-Alpes", rappelle Catherine Bocquet, co-présidente de Digital League, le cluster des entreprises de l'industrie numérique en Auvergne-Rhône-Alpes qui compte plus de 500 membres représentant 26 000 emplois.
L'emploi, l'autre grande force du secteur face à la crise de la Covid-19 ? Près de 10 000 postes sont encore à pourvoir dans la région.
Dossier réalisé par Laurie Joanou, Julien Thibert et Sevim Sonmez et Caroline Thermoz-Liaudy