382 000 nouveaux cas de cancer sont détectés chaque année en France et 30 % des personnes concernées sont en situation d’emploi. Alors qu’une personne sur trois perd ou quitte son emploi dans les deux ans après son diagnostic, la question du maintien et du retour à l’emploi devient un enjeu de société pour les malades comme les entreprises.
La stratégie décennale de lutte contre le cancer lancée par l’Institut national du cancer (Inca) en février 2021 intègre la volonté de limiter les séquelles pour favoriser une meilleure qualité de vie aux patients après les cancers, l’emploi participant à cette dernière.
Favorisant le lien social mais aussi l’estime de soi, de nombreuses études reconnaissent l’impact positif du travail dans le rétablissement des malades, un fait admis par la Haute autorité de santé. Si 80 % des malades retrouvent une situation d’emploi après deux ans d’absence en moyenne, l’évolution des traitements associée à des durées d’hospitalisation plus courtes permettent aussi - d’autant plus aujourd’hui - à certains patients, de concilier quand ils le veulent - et le peuvent - travail et soin.
Intégrer la maladie à la vie de l’entreprise
Cette problématique du cancer dans le monde de l’entreprise est devenue ainsi ces dernières années de plus en plus prégnante. "En 2015, l’Inca lançait son club d’entreprises avec l’ambition de faire monter le sujet à l’agenda des dirigeants afin qu’ils prennent conscience de l’urgence et de la nécessité de travailler sur cette thématique", se souvient Marie-Sophie Gannac, en charge de cette question à l’Institut national du cancer.
La soixantaine d’entreprises ou de collectivités (1,5 million de personnes concernées) réunies dans ce club formalisait en 2017, une charte devenue la pierre angulaire de ce dispositif. Onze engagements moraux mais concrets en faveur du retour et du maintien en emploi, rappelant l’extrême nécessité d’anticiper le retour au travail, et de former et accompagner les collaborateurs à une meilleure acceptation de la maladie.
Car en l’espèce, cette dernière reste souvent associée au niveau des organisations à un risque d’incapacité et d’absentéisme, pouvant produire dans le meilleur des cas des maladresses et dans le pire des cas des attitudes délétères.
"Combien de fois pendant la phase de diagnostic, ne m’a-t-on pas dit "mais tu as l’air en pleine forme pourtant"
Ainsi cette salariée ligérienne qui s’est vue proposer une rupture conventionnelle à l’annonce de son cancer, justifiée aussi par le fait que le foulard porté pour cacher les effets de la chimiothérapie pouvait être associé à une opinion religieuse. C’est aussi l’organisation du travail en lui-même qui peut parfois alimenter des tensions.
Pour cette salariée, l’injonction du médecin du travail de travailler à 100 % de son domicile a été difficilement acceptée par son employeur, lequel du fait de son absence dans les locaux oubliait de lui verser son salaire en décembre dernier. "Tant que le traitement de cette maladie n’a pas produit ses effets, (comprendre la perte de cheveux ; Ndlr) l’entourage professionnel s’interroge sur le bien-fondé de l’arrêt-maladie", explique cette salariée, dont nous conserverons l’anonymat. « Combien de fois pendant la phase de diagnostic, ne m’a-t-on pas dit « mais tu as l’air en pleine forme pourtant".
En reconnaissant également avoir annoncé tardivement sa maladie, se pose aussi la question de comment verbaliser une telle annonce.
Nathalie Vallet-Renart, co-fondatrice en 2013 de l’association Entreprise et cancer, évoluant à Lyon en faveur du maintien et du retour à l’emploi a été elle-même confrontée à des relations difficiles avec son employeur de l’époque lors de l’annonce de son cancer du sein. Cette consultante RH entend bien alors reprendre son travail sous peu et le précise à son manager, mais les multiples rechutes et les effets secondaires du traitement entravent cette volonté. La détérioration rapide de sa relation avec son responsable la pousse à quitter l’entreprise.
Trois temps importants pour le salarié : l’annonce, l’absence et le retour
Son vécu lui permet aujourd’hui de s’adresser aux entreprises confrontées à la maladie d’un collaborateur pour les aider à gérer ce type de situation, soit sous la forme de sensibilisation ou d’intervention auprès des managers, ou de coaching auprès des salariés malades. Sa méthode validée à travers deux enquêtes réalisées en 2019 et 2020 pour fluidifier les rapports employeur/employé repose sur deux piliers.
Une approche systémique, de la personne et de son environnement, et l’identification de trois temps importants pour le salarié : l’annonce, l’absence et le retour. La bonne gestion de ces trois étapes permettant de mieux appréhender cette période sensible. "L’annonce est extrêmement importante et traumatisante pour la personne et les équipes, relève Bertrand Bottois en mécénat de compétences au sein de l’association. Prendre le temps de libérer la parole est essentiel pour expliquer ce qu’il se passe tout en respectant le secret médical et l’intégrité de la personne. Les personnes atteintes par cette maladie peuvent disparaître en une semaine de la "circulation". Une fois le cancer détecté, elles seront dirigées vers un spécialiste qui les mettront en arrêt."
"La thématique de l’emploi doit être prise en compte très tôt dans le parcours de soin"
La verbalisation permet ainsi de rassurer la personne au moment de son départ en plaçant au cœur des préoccupations de la relation salarié/ entreprise, la santé du collaborateur, dont il faudra s’enquérir durant l’absence pour maintenir le lien. Ces différentes étapes dans la maladie du collaborateur font l’objet de publications et de livrets émis à destination des entreprises par l’Institut national du cancer.
L’adaptation nécessaire des entreprises et le développement des dispositifs pour favoriser l’emploi des malades en facilitant les échanges, constituent également l’un des objectifs de la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030 de l’Inca qui, face à la multitude d’acteurs œuvrant dans le champ de la sensibilisation aux entreprises, a lancé fin 2021 un appel à projet visant à identifier des solutions pour mieux coordonner les intervenants. "La thématique de l’emploi doit être prise en compte très tôt dans le parcours de soin, il est nécessaire de favoriser les synergies entre le monde de la santé et le monde professionnel", soutient Marie-Sophie Gannac de l’Inca.
De nouvelles organisations de travail
De manière générale, l’ensemble des acteurs associatifs ou publics comme la direction générale du travail ou l’Agefiph, soutient le caractère primordial d’anticiper le retour à l’emploi pour l’entreprise, mais aussi le collaborateur qui aura potentiellement perdu sa confiance et ses repères.
Des accompagnements sous la forme d’ateliers sont proposés notamment par la Ligue contre le cancer. Alors que 63,5 % des salariés souffrent encore de séquelles jusqu’à cinq ans après le diagnostic, l’adaptation du poste de travail apparaît nécessaire pour prendre en compte la fatigabilité et les troubles cognitifs engendrés par les traitements.
L’aménagement du temps de travail avec davantage de flexibilité alors que la loi ne la favorise pas forcément est tout aussi nécessaire. Cette flexibilité est défendue par Pascale Levet, déléguée générale du Nouvel institut à Lyon, une organisation travaillant sur le référentiel des living lab et réunissant des intervenants de tous bords pour élaborer une démarche basée sur l’innovation et les usages.
Déconstruire les modèles
Elle entend déconstruire les modèles pour permettre à des gens malades de travailler s’ils le souhaitent en interrogeant les rapports qu’entretiennent la santé et le travail. "Si on pense que la maladie, ce ne sont que des pertes, on va avoir du mal à penser qu’une personne malade peut travailler." Pour répondre à la volonté de travailler des malades ou anciens malades, elle défend aux côtés de l’Inca la possibilité d’expérimenter des formules alternatives au temps partiel thérapeutique, jugé contraignant pour les personnes et les organisations. Comme d’autre pays, à l’image de l’Australie, qui ont expérimenté des pistes générant une flexibilité du travail pour tous.
Parmi les leviers, l’adaptation des missions aux possibilités cognitives du salarié, la prise en compte du temps consacré au traitement et de ses effets indésirables avec l’aménagement des horaires. "Il s’agit face à cette situation qui arrive, de refabriquer l’organisation de travail comme on sait le faire lors d’un congé maternité. On a médicalisé les problèmes, mais les problèmes de santé au travail sont aussi des problèmes de travail", conclut Pascal Levet.