Comment la métallurgie rhodanienne a-t-elle encaissé la première année de la crise de la Covid-19 ?
"Dans un premier temps, nos entreprises ont été désemparées. Tout s'est arrêté du jour au lendemain au printemps dernier et pour redémarrer, il a fallu, en premier lieu, que chacun se débrouille pour trouver des masques, du gel hydroalcoolique…
Nous avons été livrés à nous-mêmes et je suis particulièrement fier du travail qu'ont réalisé les équipes de l'UIMM pour apporter des solutions à nos adhérents. Nous avons notamment mobilisé nos juristes, qui ont travaillé quasiment 7/7 pendant pratiquement toute la durée premier confinement.
Cette démarche d'entraide a d'ailleurs irrigué toute la métallurgie rhodanienne, au-delà de nos seules instances. Les entreprises se sont soutenues dans la course aux équipements de première nécessité et cela nous a incontestablement permis de franchir le cap plus facilement."
© Marine-Agathe Gonard
"La situation reste fragile"
Où en sont les entreprises aujourd'hui ?
"Pour l'heure, les chiffres sont les mêmes qu'au niveau national : en moyenne, l'industrie, dans son ensemble, serait à -10 %, mais on parle de -35 % pour les acteurs de l'automobile et -50 % pour ceux de l'aéronautique.
Par chance, dans le Rhône, le nombre d'entreprises qui travaillent pour l'aéronautique n'est pas aussi important que sur d'autres territoires. Par ailleurs, nos entreprises sont avant tout des sous-traitantes et leur activité repose rarement sur un seul secteur d'activité. Elles se sont donc adossées sur d'autres donneurs d'ordre pour rebondir, ou en tout cas, pour atténuer le choc.
Enfin, la baisse des chiffres d'affaires 2020 ne doit pas être mise en perspective uniquement avec 2019, qui avait été une très bonne année, mais également avec ceux de 2018. Et quand on analyse la situation à cette aune, le constat est moins terrible.
Par ailleurs, beaucoup d'entreprises sont certes à -10 %, mais dans le même temps elles ont fortement réduit leurs frais. Pas de salons professionnels, de déplacements ou de frais de représentation… Certaines affichent donc un meilleur résultat d'exploitation que l'année précédente.
Néanmoins, même si les trésoreries ne sont pas mauvaises à l'instant T, puisque les entreprises peuvent s'appuyer sur les aides comme le PGE, la situation reste fragile. À plus long terme, mon analyse pourrait être différente."
"Cette crise a été un accélérateur de tout un ensemble d'évolutions utiles à l'avenir"
Est-il possible, dans ces conditions, de tirer des enseignements positifs d'une telle crise ?
"Comme toute crise, celle-ci a eu des effets qui seront bénéfiques dans le futur. Elle a notamment été un accélérateur de la digitalisation, de la robotisation, de la cobotisation… et de tout un ensemble d'évolutions qui nous seront utiles demain. Nous avons appris à travailler à distance sans perdre en efficience. C'est vraiment tout un modèle qu'il a fallu revoir en développant de l'agilité et de la résilience à tous les étages. Et nous l'avons fait.
Cela nous a également amenés à réfléchir à notre positionnement sur certains marchés, aussi bien métiers que géographiques. Nous devons retenir ces leçons et en tirer profit à l'avenir."
© Marine-Agathe Gonard
Ses dates clés
1986 Entrée chez les Compagnons du Devoir en chaudronnerie à Lille
2001 Création de la société Tra-C Industrie, Tarare
2018 Président de l'UIMM 69
2019 Membre de la délégation qui remporte les WorldSkills 2024 à Lyon
La relocalisation industrielle via la compétitivité
Que vous inspire le plan de relance présenté par le gouvernement ?
"Ce plan de relance est énorme, puisqu'on parle de 100 Md€ sur 2 ans, avec 33 Md€ pour l'industrie, dont 34 % qui seront affectés à la compétitivité, 30 % pour l'écologie et 36 % pour la cohésion. Mais au-delà des chiffres, ce plan est un maquis. Il y a un plan de relance spécifique automobile, un autre pour l'aéronautique, un autre pour la transition énergétique… Les PME ne s'y retrouvent pas.
L'UIMM a donc un rôle à jouer pour les aider, en allant les voir, en les écoutant, en les guidant, en les orientant et surtout en les accompagnant. Pour cela, nous avons mis en place des équipes d'experts sur le terrain."
La relocalisation semble être le principal cheval de bataille du gouvernement en matière industrielle. Cela a-t-il réellement du sens ?
"Bien entendu ! Mais il n'y aura pas de relocalisation industrielle sans renforcement de la compétitivité de nos entreprises. Et pour atteindre ce but, il faut impérativement baisser l'impôt de production. Des efforts ont déjà été réalisés ces dernières années, mais il faut aller encore plus loin.
Parallèlement, il faut mettre en œuvre de vrais programmes d'investissement d'avenir : autour de l'énergie, avec l'hydrogène par exemple, autour de l'innovation... Et il faut que l'État porte ces stratégies en concertation avec tous les acteurs industriels, dont l'UIMM bien entendu."
"L'un des plus importants défis que nous aurons à relever est celui de l'attractivité, de la formation et du recrutement"
Quels seront les autres grands défis à relever à l'avenir ?
"L'un des plus importants que nous aurons à relever est celui de l'attractivité, de la formation et du recrutement. Et pour cela nous devons prendre du temps tout simplement. Si nous sommes capables de prendre deux jours pour participer à un salon professionnel, nous devons être capables de prendre une ou deux heures pour aller échanger avec le patron de Pôle emploi ou de la mission locale, avec le directeur du lycée voisin…
C'est ainsi que nous trouverons les bonnes personnes à mettre devant nos centres d'usinage dernière génération. Les jeunes ne viendront pas tout seul dans nos entreprises ; c'est à nous d'aller les chercher. Dans ce cadre, l'UIMM prendra toute sa place. Nous allons mettre des moyens financiers en place pour aider les entreprises à accueillir des jeunes dans le cadre de leur stage obligatoire de 3e."
© Marine-Agathe Gonard
Rapports avec la Métropole de Lyon : "Bruno Bernard connaît l'industrie"
Les métiers de l'industrie sont en tension depuis plusieurs années…
"Je vous arrête tout de suite. Je n'aime pas que l'on parle de tension sur les métiers de l'industrie. Tous les métiers sont en compétition. C'est vrai pour les services, pour les métiers de bouche, pour le bâtiment… Il faut simplement que nous soyons les meilleurs pour attirer les jeunes, et les moins jeunes, chez nous.
Mais pour cela nous devons nous réinventer. Aujourd'hui, nous pouvons rendre une personne "embauchable" en trois mois dans le cadre des certificats de qualification paritaire de la métallurgie. Ce qui nous permet de trouver plus de profils, en travaillant sur la reconversion et sur la motivation des candidats, plutôt que sur leur formation initiale.
Enfin, nous aurons l'occasion de mettre en valeur nos métiers à l'occasion des WorldSkills, puisque Lyon deviendra la capitale mondiale de la formation professionnelle en septembre 2024. Nous devons profiter de la visibilité que nous offre cet événement, dont nous avons obtenu l'organisation en mobilisant tout l'écosystème lyonnais, aussi bien économique que politique : CCI, Medef, CPME, UIMM... et bien évidemment la Métropole."
Justement, quels sont vos rapports avec la nouvelle majorité métropolitaine ?
"Ils sont bons. Bruno Bernard connaît l'industrie. Il a travaillé dans des groupes industriels, il est lui-même chef d'entreprise et son arrivée à la tête de la Métropole de Lyon ne m'inquiète pas. Nous venons d'ailleurs d'organiser une réunion, au cours de laquelle la Métropole nous a présenté sa politique industrielle. Cela nous a donné l'occasion de comprendre leur stratégie et de faire passer nos messages.
C'est la première fois que nous faisons cela et cette initiative symbolise notre volonté de fédérer toutes les forces du territoire autour de la cause industrielle. Car c'est ainsi que nous rebondirons."
Propos recueillis par Jacques Donnay
Entre nous...
© Marine-Agathe Gonard
Son rituel du matin... Prendre mon temps au petit déjeuner. Profiter de cet instant de tranquillité pour lire avant d'arriver dans l'entreprise à 7 h 30.
Son livre de chevet... Dans mes lectures il n'y a pas énormément de romans, mais actuellement je lis "Le maitre et Marguerite", de Mikhaïl Boulgakov.
Sa source d'inspiration... Le cuisinier Thierry Marx, pour cette passion du métier et du travail bien fait que nous partageons.
Son lieu de prédilection... La Brière, en Loire-Atlantique, d'où je viens. Cette région reste mon port d'attache, un lieu où j'aime me ressourcer.