Ce Mefistofele d'Arrigo Boïto est peu souvent joué, et c'est une vraie grande découverte et une création étonnante, que les Lyonnais ont la chance de pouvoir apprécier. A part le ballet de l'opéra, ce sont toutes les forces vives de la grande maison lyonnaise, qui se donnent à fond, aux côtés des chanteurs stars : la basse John Relyea (Mefistofele), le ténor Paul Groves, la soprano Evgenia Murareva…
Les jeunes de la maîtrise, déguisés en angelots, et surtout les chœurs de l'Opéra apportent un souffle sonore « divin » face à cet impressionnant Mefistofele, John Relyea, ce Canadien de Toronto, qui doit bien frôler les 2 mètres et dépasser les 100 kg (de muscles).
Un chanteur basse idéal dans le rôle, au côté d'un Faust incarné par Paul Groves, qui semble tout frêle dans sa à veste à paillette quand il ne porte pas sa blouse de scientifique. L'histoire, on la rappelle : Mefistofele parie avec Dieu qu'il parviendra à corrompre le vieux savant Faust, parangon de vertu. Faust tope là, et sacrifie son âme pour un instant de bonheur suprême. S'ensuit une succession de tentations diverses et variées, la maison Dels Baus ne reculant devant aucun sacrifice, on a droit aux hommes en slip léopard, aux femmes en dessous chic, avec effeuillage à parité homme-femme respectée…Le tout dans un joyeux enchevrêtrement de beuveries et de fêtes décadentes.
Las… Pour le pauvre diable, Faust va avoir la révélation divine… S'il faut savoir que la pièce créée par Boïto il y a 150 ans en 1868 à la Scala de Milan a fait scandale au point d'être retirée de l'affiche, qu'en aurait-il été de la version 2018 de Ollé ? Bas résille et jupes fendues, chapeaux à plumes : « Dansons jusqu'au bout sur ce globe cassé…» chantent les chœurs dans une ambiance Cabaret années 30. Le message est clair. On est en présence du curseur du bien et du mal, de la vie et de la pulsion de mort, tout est bien manichéen, mais comment faire autrement pour se dépêtrer du sujet. C'est tout l'art de ce spectacle.
©Mar Flores
L'utilisation de la scène est impressionnante. Sur quatre niveau, le spectacle nous plonge dans un sous-sol glauque au niveau plateau de scène. Puis, l'action peut avoir lieu en simultané sur second plateau incliné suspendu par des filins dans les cintres. Puis sur des estrades et des gradins, et enfin, au sommet de tout cela, le trône du maître des enfers (qui peut servir de chaise électrique), qui fait face lui-même à une énorme boule à facettes suspendue façon disco, qui symbolise le monde avec lequel il joue.
La musique dirigée par Daniele Rustioni peut se faire subtile et douce, alors que l'émergence et la montée en puissance des chœurs prend aux tripes et donnent le frisson au spectateur. Peut-être le personnage de Faust semble un peu au-dessous de l'enjeu de la pièce, est ce que cela vient de l'acteur pourtant excellent, Paul Groves, ou de la mise en scène ? Difficile de dire. Toujours est il que Alex Ollé a vraiment voulu mettre l'accent sur Mefistofele : « […] Ce n'est plus Faust qui m'intéresse, mais l'autre, Méphistolfélès […] faire de lui le personnage principal en le transformant en un psychopathe qui exhibe, avec ses visions délirantes, l'infinie cruauté de son imagination destructrice … »
A vrai dire John Relyea, avec son look de créature du Dr Frankenstein, sert à merveille le projet, même ses silences sont inquiétants.
Opéra de Lyon, jusqu'au 23 octobre
©Mar Flores