Chaque préfet essaye de poser sa griffe lorsqu'il est nommé, comment avez-vous appréhendé votre nomination ?
Nous représentons l'Etat et le gouvernement. Nous nous inscrivons dans la continuité de ce qui a été fait au niveau des politiques publiques et des instructions qui nous sont données. En même temps, chaque préfet arrive avec son tempérament, son caractère, son expérience, surtout lorsque comme moi, on cumule près de 35 ans de métier. L'intérêt est de mêler sa connaissance de l'Etat et sa personnalité.
Comment pourriez-vous définir votre mission ?
La mission est relativement simple : mettre en œuvre les politiques de l'Etat sur un territoire, sans oublier que celui-ci est singulier. Il faut donc apprendre à le connaître. Il faut aussi faire de sorte que les politiques interministérielles soient bien appliquées. Il faut donc appliquer la parole de l'Etat que je qualifierais de descendante. Mais n'oublions pas celle « ascendante », c'est à dire des analyses de terrain, des propositions, des idées qui naissent de la connaissance d'une région. Ces deux éléments sont l'expression du territoire.
On loue souvent l'intelligence du modèle politique et économique lyonnais, qu'en pensez-vous ?
Avant mon arrivée, on m'avait parlé du modèle lyonnais sans que je le connaisse. Après presque un an d'exercice en région, il y a incontestablement la volonté de trouver des consensus sur les projets majeurs et structurants du territoire. C'est une véritable culture, parfois égratignée, mais qui est explique de manière rationnelle et convaincante le succès et le dynamisme économique de cette région.
Un dossier qui confirmerait vos propos ?
J'ai reçu l'ambassadeur de Chine il y a une semaine. Quand je regarde notre capacité à réunir intérêts publics et privés pour se présenter à l'international et singulièrement devant la Chine, de manière la plus efficace, c'est un succès. Auvergne-Rhône-Alpes est clairement identifiée par les Chinois.
Comment avez-vous vécu la mobilisation des gilets jaunes ?
On part de revendications légitimes de certains de nos compatriotes. C'est l'expression de la démocratie. A Lyon comme dans beaucoup d'autres villes, nous avons constaté l'irruption de groupes extrémistes qui ont essayé de faire basculer ces revendications dans la violence, en faisant prendre des risques aux manifestants qu'ils côtoyaient dans les cortèges. J'ai appelé d'ailleurs à l'apaisement en interdisant des rassemblements dans certains périmètres. Cette situation était devenue insupportable, notamment pour la liberté d'allées et venues des gens, de commercer et de s'exprimer. J'espère que les choses reprendront un cours normal. On ne peut pas prendre en otage une partie significative de la population.
Les statistiques de la sécurité sont toujours commentées et analysées. Quel est le chiffre ou le fait que vous voudriez mettre en avant en la matière ?
Nous n'avons pas connu l'augmentation de la délinquance ou de cambriolages que l'on pouvait craindre. Nous avons quand même une augmentation du trafic de stupéfiants. La lutte contre ces trafics reste une priorité. C'est une véritable gangrène qui tire derrière elle les cambriolages, les trafics d'armes voire la radicalisation. Nous avons déjà des résultats dans deux quartiers dits de « reconquête républicaine » à Lyon 8e et Vénissieux.
Avec des équipes au plus proche du terrain et coordonnées, on parvient à des résultats intéressants. L'autre priorité, c'est la lutte contre les cambriolages. En préventif comme en répressif j'ai demandé aux forces de l'ordre d'être très attentives. Avec aussi en ligne de mire, des résultats qui ne sont pas pleinement satisfaisants en matière d'accidents de la route. Dès que l'on relâche l'attention on constate certaines dérives en matière de conduite sous l'emprise d'alcool et de stupéfiants. Il faut rester équilibré dans la prévention et la répression. Jamais l'un sans l'autre.
Quel est le rôle d'une préfecture en ce qui concerne l'économie d'un territoire ?
Nous sommes des facilitateurs. A partir du moment où une entreprise veut s'implanter, nous sommes là comme ensemblier. L'Etat est capable de tenir les dispositions réglementaire et législative avec cette idée de faciliter les choses. A l'inverse, nous disposons de commissaires au redressement productif qui analysent et identifient les signaux faible pour aider les entreprises en difficulté.
Ces signaux faibles sont importants dans la pratique préfectorale ?
Absolument. J'essaye d'être au maximum présent sur le terrain et d'aller à la rencontre des chefs d'entreprises et des acteurs économiques. Mais n'oublions pas que c'est le conseil régional qui possède leadership en matière d'économie et je me réjouis qu'il nous associe à cet écosystème.
Un mot sur le nœud ferroviaire lyonnais ?
Il y a eu le débat public qui s'est déroulé récemment. Il a déçu certains car ils attendaient des décisions mais, ce type d'organisation (lndlr : le débat public) n'est pas décisionnaire. C'est l'Etat qui s'en charge en se basant sur des propositions faites pendant le débat.
Je trouve intéressant en revanche un certain nombre de recommandations faites comme sur la réalisation d'une seule partie du CFAL et non pas de sa totalité et sur le rôle que pourrait jouer la gare de Lyon Saint-Exupéry.
Et sur le Lyon-Turin ?
Nous ne sommes pas en retard. Le percement avance de manière significative. Il y a des discussions avec nos homologues italiens. Elles se poursuivent. La Commission européenne a donné un certain nombre d'indications sur la nature des aides. C'est un projet long, coûteux et complexe mais je reste confiant.
La notion de citoyenneté, comment l'avez vous appréhendée tout au long de votre carrière et comment la mettez-vous en œuvre ?
Il est indispensable d'assurer la sécurité qui reste la première des libertés. Il est nécessaire de diminuer par deux le différentiel entre le taux de chômage moyen et le taux de chômage dans certains quartiers et de multiplier par deux le nombre d'emplois et de formations. Il ne faut pas que les populations soient désespérées et aient l'impression que la République n'est pas là pour eux.
Cela passe par un renforcement de la fraternité. En 1848, elle était au milieu de notre devise républicaine : « Liberté, fraternité, égalité ». Aujourd'hui, la fraternité est placée en fin. Charles Péguy a dit : « la fraternité était la cousine pauvre de la République ». Pourtant je pense que cet élément nous réunit ; à un moment donné où les Français ont tendance à être opposés, les plus jeunes contre les plus âgés, les urbains contre les ruraux.
La fraternité est comme la respiration. Pour vivre, il faut inspirer et expirer. Une société ne peut vivre que si elle respire. La respiration c'est donner et recevoir. C'est à partir de ce moment là qu'une nation vit sinon elle s'assèche, se tend et s'oppose.
Comment la vivez-vous cette fraternité ?
Je pratique le parrainage. C'est à dire aider des jeunes, faire en sorte que ceux qui ont eu moins de chances à l'école, dans leur famille, puissent avoir quelqu'un qui, dans la durée, leur fasse confiance et les accompagne. En d'autres termes, assurer une jonction.
J'avais pris l'engagement quand j'ai visité l'Ecole de la deuxième chance que tous les élèves auraient un parrain. J'ai donc fait appel aux bonnes volontés des agents préfectoraux.
Le parrainage passe par un simple coup de téléphone pour prendre des nouvelles régulières, un appui à la recherche d'une formation professionnelle, la découverte d'un musée, une sortie à l'opéra ... Je citerais l'association Sport dans la Ville qui dans ce cadre est une structure d'insertion par le sport sans équivalent. On insiste sur les valeurs d'effort, d'échec, de collectif, le respect. Ces qualités sont celles de la vie et du travail.
J'ai remarqué que les jeunes respectent les règles du jeu à la lettre sur un terrain et sortis de celui-ci n'acceptent plus ces mêmes règles.
L'emploi reste une priorité pour l'Etat même dans une région dynamique comme Aura ?
Il se porte bien en région certes. On ne peut pas s'en satisfaire non plus car il y a encore des personnes qui ont perdu ou qui cherchent un emploi. Le terreau reste bon malgré tout grâce à des filières très dynamiques, tournées vers l'innovation, la recherche et l'exportation. Pour autant, certains chefs d'entreprise ne parviennent pas trouver des collaborateurs et certains postes ne sont pas pourvus. Il faut aller chercher les salariés là où on a pas l'habitude d'aller chercher. Je pense aux jeunes des quartiers qui font l'objet d'une politique de la ville, aux réfugiés statutaires, aux handicapés, aux habitants en milieu rural… Il faut explorer ces niches, il en va de la pérennité des entreprises mais aussi de la sortie du chômage.
Quel temps pouvez-vous consacrer à la sensibilisation du rôle d'une préfecture ?
Chaque fois que je peux le faire auprès de jeunes je réponds à leurs questions. Chacun dans nos métiers, nous sommes conscients que nous n'expliquons pas assez ce que nous faisons. Un préfet ne fait pas que de l'ordre publique ou des inaugurations. Nous sommes là pour façonner du liant et trouver des solutions en essayant de dépasser les oppositions.
Je travaille par exemple sur le triptyque eau-air-sol, des domaines qui font partie de mon champ d'action.
En matière d'eau, nous nous occupons de la gestion et des économies de ressource. Sur l'air, j'ai introduit la circulation différenciée à Lyon pour réduire les émissions de Co2. Sur la question du sol, la préfecture agit sur la préservation des terres agricoles face à des grands projets d'exploitation et sur leur économie.
Dans ce sens, une de mes convictions sur ces grandes régions comme Aura est de préparer l'avenir pour les jeunes générations.
D'où provient votre engagement dans la préfectorale ?
Je suis issu d'une famille de serviteurs de l'Etat. Mes parents étaient universitaires, mes aïeux étaient engagés dans la magistrature. J'avais un grand-père qui était dans le corps préfectoral et il m'a beaucoup marqué. Sa carrière s'est arrêtée très tôt car il a été révoqué par le Gouvernement de Vichy. Cet engagement m'a touché. J'ai senti l'incarnation des valeurs de la République à travers ce métier. L'amour que je portais à mon pays m'a conduit à embrasser cette carrière. J'aime agir, j'aime décider, j'aime rendre service.
Avez-vous le temps d'être citoyen ?
Mon métier me prend beaucoup de temps. Il faut le faire avec un engagement total. Comme je le mentionnais, pour recevoir, il faut beaucoup donner. C'est un métier très exigeant. J'essaye de donner un peu de temps à ma famille et à la réflexion à travers la lecture, l'écriture et la musique.
Ses dates clés
2018 : Préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
2014 : Préfet de la région Midi-Pyrénées devenue Occitanie.
2011 : Préfet de la région Bourgogne.
2004 : Directeur des Renseignements généraux.
2008 : Préfet du Finistère.
1993 : Conseiller technique au cabinet de Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur.
1986 : Chef du cabinet de Philippe Séguin, ministre des Affaires sociales et de l'Emploi.